Théâtre : Proust côté Céleste
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Monsieur Proust dresse le portrait de Céleste, femme dans l’ombre, gouvernante et confidente intime de l’écrivain.
Alors que Marcel Proust est décédé depuis cinquante ans, Céleste Albaret, âgée de 82 ans, consent, en 1973, lors d’un entretien de 49 heures d’évoquer les neuf années passées auprès de l’écrivain, en tant que servante, gouvernante et, enfin, confidente. Si la vieille dame accepta de parler, ce fut pour battre en brèche les allégations, interprétations biaisées, mensonges ayant couru sur le compte de Proust. Et, par fidélité à la mémoire de celui qu’elle servit de 1914 à 1922, année de la mort de l’auteur d’A a recherche du temps perdu. Toute jeune Lozérienne, montée à Paris avec son époux, chauffeur de taxi auquel Proust recourait, elle entre, par hasard, dans la maison du boulevard Haussmann. Elle « ne sait rien faire, ne connaît rien » mais quelque chose dit au « Petit Marcel » qu’il peut se fier et même se confier à elle. Céleste se sent, auprès de l’écrivain, tour à tour comme l’enfant qui a tout à apprendre ou la mère qui conseille et console. Monsieur Proust, tiré des entretiens de Céleste Albaret avec le journaliste Georges Belmont, rend hommage, à son corps défendant, tant toute sa vie elle sut protéger par son silence l’intimité de Proust, à une femme lumineuse, sortie de l’ombre d’un des géants de la littérature mondiale. La pièce a donc pour personnage centrale, cette femme exceptionnelle de pudeur, et de simplicité.
La valse des hypocrites
Le spectacle, tout de sensibilité est porté par Céline Samie, ex-sociétaire de le Comédie Française. La ductilité de son jeu l’autorise à endosser, tout de noir vêtue, le rôle des protagonistes : Gallimard, Gide, Proust, Céleste et son époux Odilon. On rit à l’imitation de Gallimard et Gide - « le faux moine » sobriquet dont l’affuble Céleste-, faux-culs que Proust côtoie par nécessité. L’intense émotion que suscite la scène des derniers instants de Proust est d’une pudique force excluant tout voyeurisme : la somme de tout ce que fut la vie de Céleste Albaret. La touchante ingéniosité de cette gouvernante qui saura apaiser les moments de douleurs dont souffre l’écrivain affaibli par l’asthme qui le tuera, révèle une humanité désintéressée : elle refusera de livrer ses mémoires qui lui auraient assuré de solides bénéfices. Elle emportera dans la mort certains secrets qu’elle fut seule à partager avec son « Petit Marcel ».
A la recherche de l’essence humaine
Dos au public, la comédienne évoque les circonstances qui lui ont fait accepter de se confier sur Proust et sur elle-même. Puis se retournant vers ce passé, elle est cette jeune femme qui découvre un univers qui, bien que circonscrit à un appartement, une maison à Cabourg, lui révèle des horizons où l’amour, le souvenir, le temps qui fuit, puis nous rattrape, nous rendent plus humains. Céleste est la représentante de cette humanité sans cesse bousculée par la violence, l’hypocrisie, la soif de paraître. Alors, la parole, la chaleur d’un regard deviennent essentielles. Le décor sera donc réduit à un espace vide, où trône une chaise, qui déplacée, signifie le changement de demeure. Le couloir lumineux dans lequel se projette Céleste convoque la fin proche, mais également la solitude ressentie par Proust avec la disparition de sa mère et ce, malgré sa vie mondaine, ni Céleste quand eut disparu l’écrivain. Ainsi, les halos lumineux qui isolent Céleste, lui restitue toute la place qu’elle occupa auprès de l’auteur de La Recherche. Une approche originale et belle réussite, bien servie par une épatante Céline Samie, en cette année centenaire de la mort de Marcel Proust.
Monsieur Proust
D'après les entretiens de Céleste Albaret avec Georges Belmont
Interprétation : Céline Samié
Adaptation et mise en scène : Ivan Morane
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 27 novembre 2022 - Le Lucernaire, Paris 6e (01.45.44.57.34.)