La fin du monde est pour dimanche, par la compagnie la Romance Infernale : un regard doux et dingue sur notre si fragile humanité
- Écrit par : Virginie Gossart
Par Virgine Gossart - Lagrandeparade.com/ En écrivant La fin du monde est pour dimanche, François Morel rêvait d'un "spectacle existentiel".
Il y aborde en effet des questionnements philosophiques comme le passage de l'enfance à l'âge adulte, la mort, le temps qui passe, la recherche du bonheur, sans jamais se départir d'un humour teinté d'absurde et de poésie. Il réunit dans ce texte des chroniques écrites pour France Inter et fait exister une galerie de personnages qui à un instant de leur vie font un constat doux amer sur leur existence. Mais la légèreté et la drôlerie de ces chroniques en font aussi des hommages, voire des déclarations d'amour aux personnages qu'elles font exister. On retrouve cette tendresse et cette bienveillance amusée dans la mise en scène imaginée par Anna Bayle et interprétée par le comédien Romain Raymond. Le décor, hétéroclite, fait de bric et de broc, est mis successivement en lumière par une scénographie qui emprunte certains de ses codes au théâtre d'objets. Ce décor témoigne dans sa diversité d'une mémoire à la fois individuelle et collective. Chaque élément constitue le livre d'une bibliothèque de souvenirs, de « petits riens » qui font le sel de l'existence et que l'on ressuscite le temps de la représentation. Chaque saynète est comme un tableau qui capte un instant de vie, dans sa fragilité, dans sa douce mélancolie, dans son universalité.
Dès l'ouverture, qui reviendra en boucle au cours du spectacle, un personnage (qui pourrait être un double de François Morel lui-même) descend du public pour répondre à la voix d'un portable qui se lamente : « Je sais pas quoi faire ? Qu’est-ce que je peux faire ? ». A l'origine, Morel donnait la réplique à Anna Karina, entretenant l'illusion d'un dialogue avec l'actrice de Pierrot le Fou et muse de Godard, lui énumérant dans un catalogue foutraque et délirant toutes les activités qu’elle pourrait accomplir, de la plus banale à la plus incongrue, avant de finir par se glisser dans l'écran comme un personnage surréaliste. La metteuse en scène Anna Bayle choisit une interprétation en apparence plus sobre et moins cinéphile, mais ancrée dans des problématiques contemporaines : l'invasion du portable dans nos vies ultra connectées, la solitude et le désœuvrement amplifiés par les confinements successifs, durant lesquels nous ne communiquions plus avec l'autre que par écran interposé. Ce choix s'avère judicieux et colle parfaitement avec le reste du spectacle, intimiste, nostalgique, drôle et tendre. Il y est question, entre autres, d'une caissière fan de Sheila, d’un homme qui accuse le Bonheur d’être un sale type dans un tribunal imaginaire, d’un envoyé spécial de France Bleu Judée qui assiste en direct de Bethléem à l’accouchement de la Vierge Marie et en fait un reportage en direct (avant une surprise jubilatoire que nous ne révélerons pas), d'un grand-père qui compare, devant son petit-fils, la vie à une semaine, pour lui en faire bien comprendre l’évanescence et la brièveté. Un art du portrait décalé dans lequel nous retrouvons toujours une part de nous-même, et que le comédien Romain Raymond met en valeur avec douceur, humilité, et générosité.
La fin du monde est pour dimanche
Auteur : François Morel
Par la Cie la Romance Infernale
Durée: 1H10
Mise en scène : Anna Bayle
Avec Romain Raymond
Scénographie : Anna Bayle
Conception décors : Pierre Bargaud
Illustrations : Daglord Dagnicourt
Aide costumes : Anne-Sophie Nuffer
Création vidéos : Anna Bayle
Œil extérieur : Gilles Martin
Création lumières: Aurélien Chevalier
Spectacle créé avec le soutien de la ville de Quétigny
Photo : ©Sophie Bruscha - Aktéon Théatre - 7 Mars 2020
Dates et lieux des représentations:
- Du 7 au 29 Juillet 2022 à 21h00 (jours impairs - relâche les lundis) au Théâtre Au Bout Là-Bas - Festival Avignon Off 2022