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Théâtre : les ombres parlantes de Novarina

  • Écrit par : Guillaume Chérel

ombresPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Le Jeu des ombres, la nouvelle pièce de théâtre de Valère Novarina, devait être jouée dans la Cour d'honneur du palais des papes, au dernier Festival d'Avignon. Les marseillaisais ont eu la chance de la découvrir à la Crièe, dont on vient d'apprendre que c'est Robin Renucci qui va succéder à Macha Makeïeff, pour une durée de cinq ans, au moins. Une bonne nouvelle, eu égard au travail du comédien et à ses valeurs en tant que directeur de troupe issu de l'éducation populaire, entre autres.

Mais revenons au mythe d'Orphée, revisité en quatre actes par l'auteur publié chez P.O.L. Quant on connaît la politique éditoriale de la maison, cela signifie littérature « exigeante », parfois « intello-ch... ». Mais toujours ambitieuse, nivelant par le haut. Accessible ou pas, la démarche n'est pas démagogique, ni commerciale. Tout ça pour dire que Le jeu des ombres est le genre de spectacle dont on ne comprend pas tout (ceux qui l'affirment sont des menteurs prétentieux) mais c'est pas grave. Non seulement parce qu'il s'appuie sur une thématique forte (la plus célèbre histoire d'amour de la mythologie grecque. Le héros descend jusqu'en enfer pour retrouver sa bien-aimée et manque à sa promesse de ne pas se retourner, il la perd ainsi à jamais). Mais aussi parce qu'il est question d'amour sacrifié, où gronde un esprit de sagesse et de religiosité. Bref, ça ne rigole pas, mais Novarina a le mérite de distiller des notes d'humour, de légèreté, savamment utilisées par la scénographie de Jean Bellorini.

Nous sommes tous des Orphée en puissance, tel est le message. Des ombres qui passent, parlent, reviennent de l'autre espace, celui des dessous. D'en dessous. Sans dessus, dessous... Du dedans de nous... Novarina aime jouer avec les mots et les sonorités. La musicalité.. Avec lui, les enfers sont le lieu des métamorphoses. Avec Bellorini, les flammes partagent réellement le plateau coupé en deux. On y trouve donc Orphée, Eurydice, Cerbère, Charon, Hécate, Pluton. Ils croisent Sosie, Flipote, les « Machines à dire beaucoup », Robert Le Vigan, Michel Baudinat, Gaston Modot, Anne Wiazemski, Louis de Funès, Christine Fersen, mais aussi Nietzsche et Gainsbourg, entre autres. Car Dieu est un fumeur de havane. Les temps s'entrecroisent jusqu'à la « discorde-danse » des temps. Le berger des langues, le gardien, l'amoureux de la parole, n'est plus Orphée tout seul, mais chacun d'entre nous. Les êtres humains trop plein de leur corps. Nous sommes tissés de temps, et cependant étrangers à lui.

Les personnages du Jeu des ombres se retournent, imitent Orphée à l'envers et trouvent leur chemin. Ils cherchent les ombres pour jouer avec la lumière. Il paraît que toute l'oeuvre de Valère Novarina (qui s'autocite) est dans ce drame. L'homme, « animal capable de tout », la rosace des définitions de Dieu, les ritournelles de l'espace et du temps en langue spirale et « l'étrangeté d'être des animaux qui parlent », l'étonnement de parler, la stupeur d'être là. Disons le tout net, ce sont les parties musicales que nous avons préférées. Les chants sont magnifiques et la lumière spectrale à souhait. Tous les acteurs et actrices (une dizaine) sont excellents. Les costumes déroutants. Le décor efficace. Les cendres ne recouvrent pas le plateau, comme prévu initialement. Elles sont symbolisées sur un fond de toile sanguine.

Sur le sol gisent des instruments de musique, qui rappellent qu'Orphée est à cheval entre deux mondes, quelles que soient les sources d'inspiration depuis la naissance du mythe jusqu'à cette dernière actualisation, qui fait se rencontrer la musique baroque de Claudio Monteverdi et la voracité langagière de Valère Novarina. Dans sa version, le choc de la langue est réel, parfois jusqu'au trop plein (trop de listes de mots rares, comme lorsqu'on reprochait le trop de notes de Mozart). Il s'agit d'un compliment, finalement... Pour Jean Bellorini, dans un monde devenu Enfer, cet Orphée est « un choeur d'âmes » dont la parole, dans ses nuances et ses évocations, est aussi riche que la musique. La pièce a été créée l'automne dernier au T.N.P de Villeurbanne, par Jean Bellorini. La tournée passera à Paris après Marseille. Mais au fait, pourquoi Orphée se retourne-t-il ? Que voit-il ? Chacun aura sa version. Il en est ainsi du jeu des ombres...

Le jeu des ombres
Texte : Valère Novarina
Mise en scène : Jean Bellorini
Collaboration artistique : Thierry Thieu Niang
Musique : extraits de l'Orfeo de Claudio Monteverdi
Direction musicale : Sébastien Trouvé, en collaboration avec Jérémie Poirier-Quinot
Scénographie : Jean Bellorini, Véronique Chazal
Lumière : Jean Bellorini, Luc Muscillo
Costumes : Macha Makeïeff
Avec François Deblock, Mathieu Delmonté, Karyll Elgrichi, Anke Engelsmann, Jacques Hadjaje, Clara Mayer, Liza Alegria Ndikita, Hélène Patarot, Marc Plas, Ulrich Verdoni. Et Anthony Caillet (euphonium), Pauline Duthoit (trompette), Aliénor Feix (chant), Clément Griffault (piano), Barbara Le Liepvre (violoncelle), Louise Ognois (trombone), Benoît Prisset (percussions), Nicolas Vazquez (trombone).

Dates et lieux des représentations : 

- Jusqu'au 3 avril. 2022 à La Criée. Réservation : 0491547054 / www.theatre-lacriee.com.

- Du mer. 20/04/22 au jeu. 21/04/22 à l'Opéra de Massy - Tel. +33 (0)1 60 13 13 13

- Du mar. 10/05/22 au mer. 11/05/22 à la Scène Nationale du Sud-Aquitain - Bayonne - Tel. +33(0)5 59 59 07 27

 

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