Théâtre : Le courage de ma mère éclaire, par touches intimistes, le drame du génocide perpétré par les nazis.
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Un bureau chargé de livres. Un homme lit, écrit. Puis se transporte, à côté, dans ce qui évoque un studio d’enregistrement.
Il va donc graver une histoire. La sienne, celle de tout un peuple, à travers un épisode - tragique - de l’histoire de sa mère. George Tabori, interpelé et houspillé aussi parfois par la défunte (mais est-elle vraiment morte ?) conte ce jour terrible de 1944, à Budapest. Les nazis, avec leurs supplétifs de la police hongroise arrêtent les indésirables ennemis du Reich : malades mentaux, homosexuels, communistes, juifs. Ils les précipitent dans des wagons à bestiaux plombés pour Auschwitz, d’où « ils partiront en fumée ». Madame Tabori, qui se rend, pimpante comme toujours, chez sa sœur, est arrêtée et jointe à la misérable troupe des déportés. Un heureux concours de circonstance, la confrontation avec un officier allemand tenaillé par les doutes, lui ouvriront les portes de la liberté, à elle, seule rescapée d’un convoi de plus de 4 000 déportés. Dès lors, elle portera en elle ce sentiment de culpabilité, qui exige du courage pour le supporter, comme nombre de de survivants de catastrophes, de crimes de masse. C’est donc à son fils George qu’il incombera de transmettre la douloureuse mémoire de la Shoah.
Ne pas oublier
Le texte de George Tabori, traduit par Maurice Taszman, expose, par petites touches, l’histoire du génocide de juifs d’Europe perpétré par les nazis. L’alternance des scènes d’un quotidien banal tiré d’actes de la vie d’une communauté intégrée, mais vouée à l’exécration et la mort, et des récits horrifiques du transfert vers les camps d’extermination, disent, de l’intérieur, ce que fut le génocide. On peut, ainsi, rire et se moquer de ces protagonistes qui fondent les sociétés, puis trembler d’horreur à l’évocation des brutalités, des assassinats commis par les bourreaux. Dans les trains étroitement surveillés, les déportés, soumis à une dégradante promiscuité, dardent leurs traits d’humour, se livrent à des actes sexuels « pour la dernière fois ». Le narrateur, malgré les protestations de sa mère, ne cache rien de ces actes si communs, si humains. Que la mémoire puisse parfois trahir n’enlève rien à la vérité, au poids des faits. Ce qui est dit a bien eu lieu et il est du devoir de chacun de les perpétuer afin que l’humanité n’oublie jamais. Se remémorer ne signifie pas figer le passé, mais nourrir l’avenir. Il est du devoir de qui transmet de ne rien occulter, de ne pas édulcorer. Le Courage de ma mère en est une parfaite illustration, notamment en ces temps où négationnisme et interprétation biaisés de l’histoire trouvent regain.
D’ombre et de lumière
Seul en scène, Roland Timsit joue la transmission à travers un enregistrement sonore. Il est, tout à la fois, l’auteur-conteur, sa mère, et les protagonistes du drame. D’un simple changement de ton, d’expression, sans excès, il devient acteur de la tragédie. Le décor dessine la frontière délimitant passé et présent, tout comme les voix des disparus : quelques micros sur pied qui font office de silhouette des personnages dont ils amplifient la voix ; des néons, rais de lumière filtrant à travers les planches des wagons à bestiaux ou évocation des vies qui ont brillé et se sont éteintes. La bande-son, parfois intrusive, est là pour rappeler qu’on traite de la vie, de vies qui ne sont plus, mais qu’on ne doit pas oublier. Roland Timsit est épatant et authentique dans ce rôle d’ordonnateur de la mémoire.
Le courage de ma mère
De George Tabori
Mise en scène : David Ajchenbaum
Assistanat à la mise en scène : Déboras Földes
Avec Roland Timsit, Marion Loran [ voix ]
Traduction : Maurice Taszman
Lumières : Esteban Stéphane Loirat
Création sonore : Nicolas Martz
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 16 avril 2022 à La Reine blanche, Paris 18e (01.40.05.06.96.),