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Théâtre : Nadja ou l’amour fou à la Croisée des chemins

  • Écrit par : Christian Kazandjian

nadjaPar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Les lettres conservées par André Breton révèlent l’existence douloureuse d’une femme détruite par la passion.

Nadja, récit autobiographique d’André Breton, renvoyant l’œuvre au statut de roman, aura occulté, l’existence d’une femme ayant aimé et traversé les aléas d’une vie grosse de difficultés et désillusions. Le « Pape du surréalisme » s’est-il servi d’une courte liaison de neuf jours avec une inconnue « très pauvrement vêtue », rencontrée, le 4 octobre 1926, dans une rue de Paris, pour écrire, en 1928 , un roman dont il donnera une version remaniée en 1963, qui le dédouanerait de sa lâcheté, sa peur, au moment de répondre à l’amour dévorant d’une jeune femme ? Et ce, bien qu’il ait affirmé l’avoir écrit « sans aucune affabulation romanesque ni déguisement du réel ». Léona Delcourt, a cru à l’amour ; elle adopta le nom de Nadja, « parce qu'en russe c'est le commencement du mot espérance, et parce que ce n'en est que le commencement. » Le caractère étrange de la jeune femme, sa sincérité, séduisirent le poète, au début. Il vit en elle, « un génie libre, quelque chose comme un de ces esprits de l'air que certaines pratiques de magie permettent momentanément de s'attacher, mais qu'il ne saurait être question de se soumettre. » Mais il s’en inquiéta rapidement et rompit alors avec cette amante, avec laquelle il avait « cessé, depuis assez longtemps, de s’entendre », qu’il ne reverra plus, et qui sera envoyée, quelques mois plus tard, dans un asile où elle décèdera en 1941. L’attitude de Breton sera sévèrement jugée par d’anciens amis (Desnos, Leiris, Prévert, Ribemont-Dessaignes, Vitrac..) dans le pamphlet Un cadavre, en 1930.

Une ardente poésie

Le roman aura donc fait oublier qui était Nadja. Ce qu’elle a ressenti, enduré, souffert. Heureusement, André Breton a gardé sa correspondance s’échelonnant de leur rencontre au funeste jour de son internement. Des lettres d’une femme amoureuse jusqu’à la folie, des lettres d’une poésie brûlante qui ne pouvait laisser insensible l’auteur de L’amour fou et de des Vases communicants. Nadja accompagne ses écrits de dessins dans la droite ligne du surréalisme. Cependant ces lettres traduisent, chez la jeune femme -elle a 24 ans- sa fascination pour un homme de six ans son aîné, déjà célèbre dans les milieux intellectuels. La séparation la détruit ; elle écrit : « André. Je t'aime. Pourquoi dis, pourquoi m'as-tu pris mes yeux. » ; « Vous êtes aussi loin de moi que le soleil, et je ne goûte le repos que sous votre chaleur » ; « Je suis comme une colombe blessée par le plomb qu'elle porte en elle. » ; « Oh monstre… Que fais-tu de ma vie ? » Lui, l'a oubliée, mais, elle continue de se nourrir de l’amour qu’elle éprouve encore pour tenter de combattre les démons qui la conduiront à l’hôpital psychiatrique : « Crois que j'ai souffert pour toi et souffrirai encore sans doute. Tu m'as fait devenir si belle, André, je me sens légère malgré tout. Mais je t'en veux de cela. » Ces lettres dévoilent ce qu’était la place des femmes dans nos sociétés d’alors : mère, amante, égérie dans le meilleur des cas (« derrière un grand homme se cache une femme »). Cela n’a pas fondamentalement changé. Ces paroles de Nadja : « Je ne veux pas te faire perdre le temps nécessaire à des choses supérieures. Tout ce que tu feras sera bien fait. Que rien ne t'arrête… », «  Tu es mon maître ; Je ne suis qu’un atome qui respire au coin de tes lèvres ou qui expire », ne peut-on pas encore, aujourd’hui, les entendre ?

Une parole à vif

Florence Perrier prête sa voix à Nadja, y apportant tout le tact, la retenue qui sied à une parole écorchée, sachant se faire chaude et tendre, sans cacher la douleur latente. Une belle interprétation, avec en contre-point, la contrebasse de Jonathan Zeugma, rendant, grave, le ton courroucé, apaisé parfois, d’André Breton, qui répond, distant le sent-on, à Nadja, jusqu’à sa totale disparition dans le noir, dans l’oubli. L’économie de moyens (une table, une chaise, un faible éclairage), souligne la présence, la luminosité teintée de nuages, d’un texte qui captive : le cri d’une femme qui croit en l’amour salvateur, jusqu’à l’abîme. « Aimer à perdre la raison », chante Aragon, poète fondateur, avec Breton, Soupault et quelques autres, d’un mouvement littéraire qui marquera le XXe siècle : le surréalisme, auquel Léona Delcourt-Nadja aura contribué à sa façon.

A André, lettres de Nadja
D’après Léona Delcourt
Création collective : Florence Perrier et Jo Zeugma
Interprétation et improvisation : Florence Perrier et Nicolas Marilleau

Dates et lieux des représentations: 

- Jusqu’au 5 mars 2022 au Théâtre La croisée des chemins, Paris 19e (01.42.19.93.63.) 


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