Valentine : Que vive le théâtre !
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Le témoignage émouvant, drôle, tellement humain de Valentine Tessier prêtant sa voix et celles de ses partenaires à un comédien seul en scène.
Aujourd’hui, grâce à la magie du cinéma, il est possible de voir, revoir ou découvrir grandes figures, seconds rôles, monstres sacrés et figurants du grand écran. Il en va différemment avec le théâtre, art vivant. Philippe Catoire, en 1966, sort subjugué par une comédienne jouant la Générale Epantchine dans l’Idiot de Dostoïevski, monté par André Barsacq. Son nom : Valentine Tessier (1892-1981). « Ebloui par la simplicité et par l’humour avec lesquels elle y incarne la passion du théâtre » le comédien a cette « folle idée d’essayer de transmettre » le témoignage d’une vie entière dédiée au théâtre. Pour cela, il établit un récit à partir de l’entretien qu’elle accorda, en 1973, pour la télévision. Elle avait alors 81 ans. Philippe Catoire joue le rôle de Valentine, se transforme en Valentine, assise dans un fauteuil, par le truchement d’un simple châle.
Un bouillonnement intellectuel
Gamine, née dans un foyer d’origine russe, elle tombe, dès le collège, sous le charme des textes de Racine. Sa voie est tracée. Dès l’âge de vingt ans, elle entre dans la troupe de Jacques Copeau qui a créé, en 1913, le Théâtre du Vieux-Colombier à Paris. Copeau vient, de fait, de dépoussiérer un art qui somnolait, substituant aux textes de Dumas, Sardou ou Ponsard donnés, avec force moyens sur les boulevards, ceux des grands auteurs classiques. Valentine Tessier participe de cette aventure aux côtés de Louis Jouvet qu’elle rejoindra quand il montera son propre théâtre, Charles Dullin, puis Michel Simon. Elle fréquente les intellectuels et créateurs participants du débat d’idées agitant le monde, avant la Première guerre mondiale, puis dans l’entre-deux guerres : Gide, Martin du Gard, Péguy, Picasso, Ravel, Stravinsky, Debussy. Dévidant le cours de son existence, la comédienne évoque ce bouillonnement culturel qui a donné à la France sa singularité, cette « exception » mondialement reconnue. Théâtre et cinéma (peu de grands rôles, il est vrai) auront habité, au plus profond de son être, Valentine Tessier de 1913 à 1967 : dernière pièce, La visite de la vieille dame de Dürrenmatt mise en scène d’Hubert Gignoux.
Un métier, une passion
Valentine, par la voie de Philippe Catoire donne accès aux coulisses du théâtre, aux pensées même des comédiens, des metteurs en scène, cherchant, innovant, régalant les spectateurs. On entend ces voix entre mille reconnaissables de Jouvet-Knock, Michel Simon, désopilant en Cloclo dans Jean de la lune, Marguerite Moreno dans La folle de Chaillot. Et, bien entendu, celle de son cher maître Jacques Copeau qui guida ses premiers pas et en fit une comédienne parmi les plus grandes. Toutes les anecdotes dévoilent les facettes des métiers de la scènes, la fatigue, le travail, toujours le travail. Et l’amitié qui parfois se brisent contre les hauts murs de l’ambition. Mais toujours cet amour dévorant pour un métier fait d’aléas et de moments inaltérables de bonheur. Philippe Catoire, en une heure, qu’on souhaiterait voir se prolonger tant le spectacle est jouissif, incarne, sans mordre le trait, une Valentine Tessier, toute d’espièglerie, d’humour, de coquetterie. On entre dans cet univers du théâtre, quelque peu mystérieux pour le profane, à hauteur des femmes et des hommes qui, jusqu’à aujourd’hui font partager leur passion, malgré les embûches administratives, les difficultés matérielles, les contraintes sanitaires et budgétaires. C’est pour tout cela qu’on remercie et qu’on aime toutes les Valentine et ceux qui font vivre cet art qui les contient tous.
Valentine ou la passion du théâtre
Texte : Valentine Tessier
Pièce conçue et jouée par Philippe Catoire
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 10 avril 2022 au Théâtre Essaïon, Paris 4e (01.42.78.46.42.) les dimanches à 17h30.