Théâtre : Molière, 400 ans et toujours le patron !
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Au cœur de Paris, à proximité du musée du Louvre, la place Colette et sa station de métro dont la bouche est ornée des perles de Jean-Michel Othoniel. A quelques mètres, un bâtiment imposant. La Comédie-Française, appelée également « la maison de Molière ».
On y pénètre, on découvre une relique : un fauteuil en bois, il est protégé par une vitrine- ce fauteuil sur lequel, durant une représentation du « Malade imaginaire » en février 1673, Jean-Baptiste Poquelin que l’éternité retiendra sous le pseudonyme de Molière a agonisé avant de mourir peu après, chez lui à quelques pas du théâtre. Ce fauteuil, utilisé par les comédiens jusqu’en 1879, qui fait dire à la conservatrice- archiviste des lieux : « C’est le seul objet qui nous reste de son théâtre. Il a une présence telle qu’on a presque l’impression que Molière y est encore assis ». Dans cette maison, des portraits, aussi des bustes de l’omniprésent des lieux, que les comédiens prennent soin d’effleurer, de toucher, convaincus que ce geste leur portera chance et réussite… Et dès ce 15 janvier et jusqu’à la fin juillet, cette maison, la Comédie-Française va honorer le dramaturge en lançant le cycle Molière 2022, pour fêter le 400ème naissance sa naissance (plus exactement, de son baptême- aucune date officielle de naissance n’étant connue…).
Administrateur de la Comédie-Française dont il est également le 498ème sociétaire, Eric Ruf évoque cette « saison Molière » : « Ce que je voulais absolument, c’est que l’on puisse y voir des mises en scène et des pensées très différentes. Que l’on ressorte avec un éventail large, que l’irrévérence soit de mise et la découverte aussi. Ce sera le cas avec ce « Tartuffe » « inédit » recréé par le grand spécialiste de Molière qu’est Georges Forestier et que met en scène Ivo van Hove en ouverture de cette saison. Je suis particulièrement fier de pouvoir dire que l’on fait une création mondiale d’une pièce de Molière en 2022 à la Comédie-Française ! » Donc, au programme, pas moins de neuf pièces du maître de théâtre du XVIIè siècle ! Avec un constat- encore Eric Ruf : « S'il est une maison de théâtre où l'on ne sait pas comment on doit jouer Molière, c'est bien la sienne. Ce n'est pas une boutade, aucune ou aucun des sociétaires ou pensionnaires de la Comédie-Française n'affirmera jamais rien le concernant, la fréquentation quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, annuelle, décennale, séculaire de son théâtre imposant avant tout la modestie. Désigner l'art du Patron, comme on le nomme en ces murs, serait aussi vain que de choisir un juste portrait entre les centaines de dessins, peintures, gravures et bustes qui tapissent les murs des théâtres et les salles de musées. Molière aux mille visages et aux mille théâtres, bien malin celle ou celui qui désignerait l'authentique ».
Un autre sociétaire (le 505ème, depuis 2000) de la Comédie-Française, Denis Podalydès, poursuit : « Molière est une matière extrêmement vivante, avec ses zones de mystère ». Et d’évoquer le Molière grand public, le Molière de « la langue de Molière », le Molière bon enfant, le Molière qui, pour les enfants, constitue la porte d’entrée de l’art du théâtre. « Mais il y a aussi un Molière moins consensuel », ajoute Podalydès que l’on verra dans « Le Tartuffe ou L’Hypocrite », mis en scène par le Belge Ivo van Hove- et qui va, à coup sûr, provoquer débats et critiques chez les « molièriens » puristes.
Auteur de « Molière, la fabrique d’une gloire nationale » (Seuil, 21 janvier 2022), l’historien Martial Poirson prolonge les mots de Podalydès : « Il faut décaper le mythe », faire la part du vrai et du faux. Ainsi, on est sûr que Molière « utilisait les cabales qui s’exerçaient à l’encontre de son théâtre. À chaque attaque, il renchérissait dans la provocation. Dans la façon dont il a toujours su se mettre sous la protection de Louis XIV, il avait un grand « sens tactique ». Sans pour autant devenir un courtisan, ni faire allégeance ». Ainsi, aujourd’hui encore, on fantasme sur un autre dramaturge du XVIIème siècle, Corneille, qui aurait été son prête-plume, sur son corps qui aurait été enterré à la fausse-commune, sur la rupture avec sa famille… Conclusion de l’historien : « Toutes les mythologies entrées dans l’inconscient collectif nuisent à l’interprétation des textes »...
En 1978, Ariane Mnouchkine avait réalisé « Molière, ou la vie d’un honnête homme » avec Philippe Caubère dans le rôle-titre- à l’révocation du nom du dramaturge, elle s’enthousiasme : « Cet homme nous éclaire encore aujourd’hui. Il est bien sûr un repère artistique fondamental mais il est surtout, pour moi, un combattant. Il s’avance en terrain miné, à ses risques et périls ». Dans ce terrain « molièrien » où l’on croise un Tartuffe, un Misanthrope, un malade imaginaire, des précieuses ridicules, un Dom Juan, un fourbe ou encore des dévots et des Diafoirus, on écoute le grand Michel Bouquet- immense serviteur des pièces de Molière. Comme personne, il a défini « le patron »- comme on surnomme Molière à la Comédie-Française : « Pourquoi est-il le plus grand ? Parce qu’il s’ignore comme écrivain, parce qu’il n’a pas de vision du monde à faire partager. Mais il a une vision de l’homme ! il est l’intelligence pure en étant le contraire d’un intellectuel… Molière est un provocateur-né, un homme proche de l’anarchie, un « bousilleur » de première »…
A lire…
« L’Atlas Molière » de Clara Dealberto, Jules Grandin et Christophe Schuwey. Les Arènes.
Un professeur de littérature française à Yale (Christophe Schuwey) et deux cartographes-infographistes (Clara Dealberto et Jules Grandin) ont plongé dans l’univers de Molière. Résultat : « L’Atlas Molière », un ouvrage indispensable pour tous les « molièriens »- et aussi tous les autres ! Les trois auteurs emmènent le lecteur à la découverte du dramaturge du XVIIème siècle, dans son œuvre et aussi dans on époque. Tout a commencé en 1622, c’est Molière avant Molière- précision des auteurs : « Où Jean-Baptiste Poquelin, qui ne sait pas encore qu’il est Molière, se lance dans le ‘’show-business’’ »… Au fil des pages, la somme des informations est étourdissante. C’est formidablement ludique- et terriblement rigoureux. Un atlas aussi léger que sérieux.
« L’autre Molière » d’Eve de Castro. L’Iconoclaste
Du XVIIème siècle, elle a fait son terrain d’écriture. Donc, rien de plus normal que de retrouver Eve de Castro s’intéressant à l’auteur du « Misanthrope » ou encore de « L’Avare ». Elle publie son nouveau roman, « L’autre Molière », s’étant mis en tête de décrypter l’une des plus fascinantes énigmes littéraires. Dans la nuit du 21 février 1673, une foule enterre Molière. Un vieillard encapuchonné suit le cortège, c’est Corneille. Il est venu non pas pour honorer la mémoire du dramaturge mais pour Armande, la veuve qu’il a toujours secrètement désirée. Dans son roman, Eve de Castro déroule une dualité entre deux immenses figures de la littérature- mieux, elle développe l’hypothèse que les deux écrivains étaient les deux faces d’une même médaille, unis par un pacte secret…
« L’Affaire Tartuffe. Molière interdit » de Catherine Mory et Philippe Bercovici. Seuil. En librairie le 21 janvier 2022.
Le 12 mai 1664 à Versailles devant le roi Louis XIV et la Cour, Molière présente sa nouvelle pièce, Tartuffe. Le public s’amuse, le roi encore plus, de cette satire de la dévotion… mais dès le lendemain, la décision royale tombe : fin de la pièce et ses représentations. Ça aurait pu en rester là , ce n’est que le début d’un enchaînement de situations qui ciblent Molière. Entre autres, il sera menacé d’excommunication, c’est « L’Affaire Tartuffe. Molière interdit », une BD basée sur des faits historiquement prouvés et signée par Catherine Mory, professeure de français, et Philippe Bercovici, dessinateur. Avec humour, les auteurs proposent un album pétillant en mots et images sur la vie du dramaturge, de l’« affaire Tartuffe » à sa mort sur scène…
… et à voir
Dirigée par Eric Ruf, la Comédie-Française consacre, pour fêter le 400ème anniversaire de la naissance du dramaturge, la majeure partie de sa programmation à un cycle « Molière 2022 ». Les représentations sont proposées dans les trois sites parisiens par la troupe de la Comédie-française. Détails.
Salle Richelieu (Place Colette, Paris 1er) « Le Tartuffe ou L’Hypocrite », mise en scène Ivo van Hove (15 janvier-24 avril). « Le Misanthrope », mise en scène Clément Hervieu-Léger (2 février- 22 mai). « Le Malade imaginaire », mise en scène Claude Stratz (21 février- 3 avril). « L’Avare », mise en scène Lilo Baur (1er avril- 24 juillet). « Les Fourberies de Scapin », mise en scène Denis Podalydès (22 avril- 10 juillet). « Le Bourgeois gentilhomme », mise en scène Valérie Lesort et Christian Hecq (7 mai- 21 juillet). « Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres… », mise en scène Julie Deliquet (17 juin- 25 juillet).
Théâtre du Vieux-Colombier (21 rue du Vieux-Colombier, Paris 6ème) « Dom Juan », mise en scène Emmanuel Daumas (29 janvier- 6 mars). « Les Précieuses ridicules », mise en scène Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux (25 mars- 8 mai). « Le Crépuscule des singes », mise en scène Louise Vignaud (1er juin- 10 juillet).
Studio-Théâtre (99 rue Rivoli. Carrousel du Louvre, Paris 1er) « D’où rayonne la nuit », impromptu musical de Molière et Lully (27 janvier- 6 mars).
Crédit-illustration : Arnaud Taeron - le site de l'artiste