Théâtre : quand Le Sel manque de poivre…
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Cherel - Lagrandeparade.com/ « Quand la mémoire s’efface, reste l’imagination », c’est le credo de Christelle Harbonn, qui met en scène Le Sel, de Karima El Kharraz, un spectacle que cette dernière dédie à son père, et à sa fille, bref à sa famille, dont elle s’est inspirée pour combler les pans manquants de sa propre histoire. Celle du lien provoqué par l’exil entre le passé et aujourd’hui.
Selon la légende : Ephraïm Barsheshet, jeune juif marocain aurait, dit-on, fait le voyage entre Marrakech et Jérusalem à dos d’âne. Un périple onirique qui appelle à s’intéresser aux origines. Et puis, il y le pitch (la note d’intention). En 1880, dans le Mellah de Marrakech, toujours, les jeunes Ephraïm et Efrat sont amoureux. Le premier, issu d’un quartier miséreux craint Dieu, tandis que la jeune fille doute mais croit en la force de l’amour. Ils finissent par se marier mais aussitôt l’époux entreprend un voyage vers Jérusalem, qui va durer sept ans. Comme Pénélope, Efrat l’attend en élevant leur fils. En 2020, le prénommé Jésus vit avec son compagnon et rêve de fonder une famille. Mais on ne leur propose qu’un garçon de sept ans, déjà abîmé par la vie. Jésus, qui s’interroge sur ses origines, part enquêter sur place. Au Maroc, d’abord, puis en Israël. Il découvre un entrelacs de vies, plus ou moins fictionnelles, point de rencontres entre artistes israéliens, libanais, marocains, français, italiens, berlinois… Et, forcément, ça se complique. Il s’en est passé, des choses, depuis les aventures de cet arrière-arrière grand-père à dos d’âne. Jésus a beau tenté de comprendre, lorsque chacun vide son sac, il finit par s’y perdre et se retrouve seul, face à son père, qui sait lui dire les mots qu’il faut.
On l’aura compris, le sujet, c’est la part du destin entre celui qui part et celui qui reste. Il s’agit non seulement de franchir les frontières terrestres, mais aussi celles de la langue, des religions, cultures, et du temps qui passe surtout. Il ne suffit pas de vouloir partir en Terre Sainte pour devenir rabbin. Il ne suffit pas d’aller ailleurs, ou l’herbe semble plus verte, pour devenir un saint homme, un juste. L’essentiel est dans l’amour au temps-présent.
Il y a beaucoup de belles et bonnes intentions dans ce spectacle riche en thématiques, mais lors de la première la mayonnaise ne prenait pas toujours. Les acteurs (Michael Charny, Tamara Saad et Gilbert Traïna) sont touchants, mais pas toujours audibles, ou pas dans le rythme. C’est lent… lent… Statique. Pourtant, tout est là . Le décor, sobre mais efficace, le texte, poétique et émouvant. La principale originalité étant le multilinguisme (arabe, français, hébreux), avec sous-titre sur écran vidéo. Le Sel manque de poivre, de liant, de nerf. Alors que les sujets sont brûlants (adoption, mariage homosexuel, conflit israélo-palestinien, retours aux origines, etc…). Un peu de passion, que diable ! C’est du spectacle vivant, pas endormant. Gageons que la troupe (Demesten Titip) va prendre son rythme au fil des représentations. La caractéristique esthétique de la mise en scène de Christelle Harbonn repose sur une dramaturgie du songe. Soit. La narration n’est pas linéaire, et le jeu des acteurs est censé être organisé à la manière d’un rêve. D’accord. Mais il serait dommage de carrément s’endormir. Même une caresse au milieu d’un cyclone, ça réveille.
Le Sel - מלח - الملØ
De Karima El Kharraze & Christelle Harbonn
Mise en scène : Christelle Harbonn (Cie Demesten Titip)
Avec Michael Charny, Tamara Saade, Gilbert Traïna
Scénographie : Sylvain Faye
Musique : Gwennaëlle Roulleau
Dates et lieux des représentations :
- Jusqu’au 14 novembre 2021 à la Criée (Théâtre national de Marseille), Petit Théâtre. Réservation : 04 91 54 70 54 / www.theatre-lacriee.com