Natalia Menéndez : la dramaturge espagnole aux mille facettes
- Écrit par : Daniel Bresson
Par Daniel Bresson - Lagrandeparade.com/ Natalia Menéndez est une personnalité particulièrement reconnue dans le monde de la culture. Dramaturge, metteuse en scène, actrice, elle dirige depuis novembre 2019 le Théâtre espagnol et les Naves de Matadero à Madrid. Elle se confie à La Grande Parade sur sa trajectoire et ses projets.
Natalia Menéndez, vous venez d'être nommée chevalier de l'ordre des arts et des lettres par le ministère de la culture français. Que représente pour vous cette distinction ?
Ce fut une grande surprise et une profonde satisfaction. J’ai pensé tout de suite à ma mère, elle allait être heureuse. J'ai pensé à mes grands-parents français et mon oncle Jean-Pierre Miquel, que ça aurait rendus si heureux !
Vous avez dirigé le Festival International du théâtre classique d'Almagro de 2010 à 2017. Comment avez-vous vécu cette expérience et que pensez-vous avoir apporté à un des plus grands festivals européens ?
Face à cette proposition, j'ai demandé quelques jours de réflexion. J'ai alors rempli cinq pages y affirmant mes desiderata : créer des espaces nouveaux, de nouvelles scènes, soutenir la jeune création (Almagro OFF) et le théâtre familial. Trouvez des liens avec l'Europe, l'Amérique latine et l'Asie. Attirer de nouveaux spectateurs, chercher la proximité avec les classiques. Réaliser des actions transversales du baroque au contemporain à travers la peinture, la photographie, la musique ou la poésie. Proposer une communication proche, ouverte, agile, amusante, etc. Une dette inattendue s'est ajoutée, il a fallu créer une fondation.
Je l'ai vécu avec beaucoup d'écoute, de responsabilité, d'imagination. J'ai réussi à former une équipe engagée et enthousiaste.
Quel souvenir gardez-vous de votre passage à la Comédie Française, aux côtés de grands metteurs en scène comme Jean-Pierre Miquel ou Jacques Lassalle ?
Je me suis découverte dans la grande histoire qu'est la Comédie française… J'ai connu la mécanique des acteurs, des techniciens ; la discipline, la quantité et diversités d'activités qu'ils réalisaient. J'ai pu savourer tout cela. J'ai pu constater la complexité de programmer trois théâtres, l'alternance des spectacles, la compagnie permanente, le répertoire, la recherche de nouveaux textes, les tournées, les diverses actions qui se réalisaient à Paris. J'ai tellement d´images, de mots, de gestes… Ça a été un grand moment pour moi, un moment vrai !
Vous avez été souvent saluée pour vos adaptations de textes classiques comme récemment le Tartuffe de Molière que vous avez mis en scène à Montevideo. Quelle place occupe l'écriture dans votre carrière et votre travail actuel ?
Tartuffe me parle toujours, j'aimerais faire une nouvelle mise en scène de cette pièce. L'écriture fait partie de ma vie. Je suis en train d'adapter une pièce, j'écris quelques articles, j'ai toujours un cahier sur ma table de nuit.
Dans votre parcours artistique, vous avez abordé de nombreux domaines comme la danse ou les arts plastiques. Cette polyvalence est-elle pour vous indispensable ?
Je m'intéresse aux arts du spectacle, je suis curieuse, je m’aventure, je n'ai pas d'aprioris. J’adore les alliances du théâtre avec le cirque, la danse où la musique en direct. Avec la danse (j’ai travaillé une douzaine d'années comme dramaturge dans plusieurs compagnies) ou le cirque, par exemple, j'ai appris à répéter avec une plus grande exigence et à valoriser la « physicalité » des mots ou des silences. Depuis mes débuts dans la mise en scène, j'ai également fusionné la sculpture, la peinture, les vidéo créations ou la photographie. Je travaille sans trop de préjugés, je cherche ce qui m'intéresse pour m'exprimer et communiquer, chaque projet m'interpelle et j'écoute.
Pour quelles raisons le thème de l'injustice tient-il une place majeure dans votre œuvre ?
Je parle de ce qui me heurte, me secoue ou me fait vibrer; je cherche une esthétique non violente. J'épouse le respect, la beauté ou la joie.
Vous êtes depuis septembre novembre 2019 à la tête du Théâtre espagnol et des Naves de Matadero à Madrid. Quelles sont les grandes lignes de votre programmation et qu'avez-vous mis en place depuis votre arrivée ?
L'aventure était de réunir le Théâtre espagnol avec les Naves del Español à Matadero qui avaient été séparés pendant un certain temps. C’est ce défi qui m'amusait.
Les lignes de programmation :
Privilégier la comédie et l’humour. Faciliter le travail des jeunes metteurs en scène et des nouveaux auteurs avec, bien sûr, un regard sur les classiques. Soutenir les projets en coproduction nationale et internationale. Offrir toutes les possibilités scéniques théâtrales (théâtre d’objets, théâtre musical, lectures théâtralisées...) danse, cirque, musique, installations et expositions. Produire une palette de spectacles pour l'enfance avec des coproductions, des lectures théâtralisées d’œuvres d’autres pays, des exibitions de compagnies espagnoles.
Enfin, deux derniers points : valoriser l’artisanat théâtral (installations, expositions, œuvres didactiques) et réserver une grande place à nos anciens. Notre projet « la Senior » veut honorer nos professionnels âgés ainsi que nos parents et amis, en leur proposant des installations, des ateliers ou des spectacles que nous allons créer pour eux.
Les mises en scènes que j'ai dirigées, durant cette année et demi, sont :
El salto de Darwin de l'auteur franco-uruguayen Sergio Blanco, création mondiale. Une tragi-comédie qui parle de la capacité que nous avons en tant qu'êtres humains à faire le saut vers une civilisation, en stoppant la loi sélective et en instaurant un système de comportements solidaires et protecteurs.
Las dos en punto de l'auteur galicienne Esther Carrodeguas, première en espagnol. Une tragi-comédie qui parle de «dommages collatéraux dans une guerre». Deux sœurs couturières ont été violées et annulées parce que leurs frères étaient anarchistes pendant la guerre civile espagnole. Elles ont payé les conséquences très durement. Malgré cela, toute leur vie, elles se promenaient, outrageusement maquillées, vêtus de couleurs criardes, tous les jours à deux heures de l'après-midi, à travers la vieille ville de Saint-Jacques-de-Compostelle. Elles étaient célèbres ; une statue les honore.
Quelle place l’éducation artistique et culturelle à destination des jeunes générations occupe-t-elle dans votre projet ?
Nous avons créé un projet, Plataforma, où les spectacles OFF de la scène madrilène seront exposés chacun une semaine dans l'une de nos salles. De plus, nous avons créé la Maratón Plataforma où les managers européens verront ces six Plataformas, pour créer des liens possibles avec elles. Nous voulons que ce projet s'ouvre à l'Europe.
Aussi, nous formons des résidents de mise en scène ; cette année il y en a quatre qui reçoivent un salaire pour apprendre et partager des expériences scéniques totales, des masterclasses et s'entourer de prestigieux assistants à la mise en scène. Nous voulons qu'ils apprennent ce métier si nécessaire et si négligé dans les écoles de mise en scène.
D'autre part, nous recherchons et stimulons des actions auprès des adolescents. Il nous semble que les arts du spectacle peuvent leur être très utiles.
En France, les lieux culturels n'ont pas pu accueillir de spectateurs depuis déjà cinq mois. De plus en plus de voix s'élèvent pour demander la réouverture des cinémas, des salles de spectacles et des musées. Quelle réaction vous inspire cette crise culturelle au regard de la situation en Espagne ?
La pandémie a plongé les gens dans la tristesse et l'anxiété. La culture est un remède contre cette oppression. Nous devons faire comprendre aux gouvernements qu'avec une culture qui se conforme aux normes de sécurité, nous évitons les maladies causées par l’enfermement. De plus, le secteur ne doit pas être paralysé. Sans l'ouverture des espaces culturels, les conséquences peuvent être plus graves…
Quel rêve peut encore avoir une artiste aussi prolifique que vous ?
J'en ai bien sûr, j'ai besoin de rêves. Un de mes grands rêves serait de mettre en scène un spectacle en France.
Teatro Español
c/ Principe, 25
Métro Sevilla (ligne 2)
Zone : Huertas
Tél. : 91 360 14 84
Cafe Naves
Paseode la Chopera, 14 28045 Madrid
Zone touristique : Madrid RÃo
Téléphone : (+34) 91 136 46 31
Adresse électronique :
Crédit-photo : Esmeralda Martin