Trahisons : du boulevard à la sauce Pinter…
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / D’une formule lapidaire, on pourrait résumer « Trahisons » : le mari, la femme, l’amant… Ce serait un roman, un film ou une pièce de théâtre vu et revu sur le thème du fameux triangle amoureux. Mais là , on est au théâtre. Au théâtre avec Harold Pinter, le dramaturge britannique prix Nobel de littérature 2005. Au théâtre pour une pièce écrite en 1978, traduite et adaptée en France une première fois dans les années 1980 par Daniel Mesguich, et reprise en cet hiver 2020 par le grand Michel Fau, dans une adaptation d’Eric Kahane.
Donc, on est en Grande-Bretagne, un jour de l’année 1977. Deux hommes, deux amis disputent une partie de squash. On les voit de dos, à coups de raquette ils tapent dans une balle imaginaire… En 2005, recevant son Nobel de littérature, Harold Pinter confiait : « La vérité au théâtre est à jamais insaisissable »- une sentence qu’il avait mise en application pour « Trahisons », tenue par les docteurs ès art pintérien comme la pièce la plus aboutie, la plus éblouissante du dramaturge britannique. Peut-être parce que l’auteur joue la pièce à l’envers- on part de 1977 et on remonte le temps jusqu’aux origines de la décomposition du couple. Avec Robert, éditeur, Emma sa femme, Jerry agent littéraire, ami de Robert et amant d’Emma. Laquelle a une liaison avec Jerry. Ils ont mis fin à leur histoire, deux ans plus tôt, et là , elle l’a invité pour lui indiquer que son mari est au courant de leur liaison depuis quatre ans… Le vaudeville parfait pour un jeu tout en retenue souhaité par la mise en scène baroque de Michel Fau. Tant chez Pinter que chez Fau, il y a de la subtilité et du raffinement pervers…
Interrogé sur ces « Trahisons », Roschdy Zem (qui se glisse dans le costume de Jerry) dit de cette pièce : « C'est une satire de ce que nous sommes ». Dans un décor simple et rococo successivement terrain de squash, bistrot, garçonnière ou galerie d’art, l’histoire sur dix années. Harold Pinter rembobine, avec délectation, l’histoire, et ça prend l’allure d’une enquête- dans ce puzzle, il y a tant et tant de zones d’ombre. Mieux : chaque personnage est, pour les deux autres, une énigme… « Je me trompe. Tu me trompes. Nous nous trompons », lit-on sur l’affiche. Et la question, en suspens : qui trahit qui ? Jerry réalise que Robert connaissait sa liaison avec sa femme. Robert, aussi flegmatique que fataliste, accepte la liaison de Jerry avec sa femme Emma qui pourrait penser que cette attitude est synonyme d’indifférence à son égard. Mais dans les mots de Harold Pinter et le jeu de Michel Fau, on devine que Robert est attiré par Jerry…
Dans ces « Trahisons » en forme de polar amoureux, fausse poupée lisse, Emma est délicieusement campée par Claude Perron, comédienne d’excellence tout en froideur et en passion, Roschdy Zem qu’on n’avait pas vu sur une scène de théâtre depuis dix-sept ans propose un personnage de Jerry en quête d’identité, jusqu’à la scène finale où il apparaît ivre et amoureux- ce qui est le début de l’histoire… Et puis, sans oublier Fabrice Cals en maître d’hôtel dans un restaurant italien, il y a Michel Fau. Le grand Michel Fau, ici metteur en scène et comédien. Etincelant dans le costume de Robert, il a voulu être fidèle à Harold Pinter. Avec « Trahisons », il ne trahit pas le dramaturge britannique !
Trahisons d’Harold Pinter
Adaptation : Eric Kahane
Mise en scène : Michel Fau
Avec Roschdy Zem, Claude Perron, Michel Fau et Fabrice Cals
Décors : Citronnelle Dufay
Costumes : David Belugou
Lumières : Joël Fabing
Musiques : François Peyrony
Durée : 1h30.
Dates et lieux des représentations :
- Jusqu’au 4 avril 2020.Du mercredi au vendredi, 20h30. Samedi, 16h et 20h30 au Théâtre de la Madeleine (19 rue de Surène, 75 008 Paris ) Tél. : 01 42 65 07 09 - http://www.theatre-madeleine.com