Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Installé au Brésil de 1938 à 1945, Georges Bernanos s'y fait l’observateur sévère de la naissance d’un nouveau monde. Les textes qu'il y produit sont une violente critique du libéralisme avant que le mot ne prenne toute sa réalité formulée, un appel à une prise de conscience de la disparition de la vie intérieure et de la spiritualité de l’homme. Un portrait au vitriol d’une société de consommation croissante. Des pensées prophétiques à la résonance contemporaine aussi terrible que bonne à faire résonner encore et encore dans les oreilles de ceux qui souhaiteraient ne pas appartenir à la catégorie si grandissante des imbéciles…

Jean-Baptiste Sastre empoigne les mots de l’écrivain avec conviction et dans un jeu tout en nuances aussi discrètes qu'efficaces, avec une voix grave et fluide, et réveille nos consciences endormies. Par le biais d'une mise en scène épurée, dans la fraîcheur de la chapelle du Théâtre des Halles d’Avignon, il offre un moment intimiste et fort où notre faculté à réfléchir est sollicitée à plein régime. Moment de théâtre salvateur que celui où l’on peut entendre les pensées d’un homme sage prévenir des malheurs promis à un monde qui se rue dans le progrès sans en avoir anticipé les conséquences sur l’humain. Parenthèse d’intelligence dont il ne faut pas se dispenser. Quelques intermèdes musicaux subtils pour respirer entre ombre et lumière.

[bt_quote style="default" width="0"]L’Enfer, c’est de ne plus être aimé. Tout le reste n’est que littérature et conjonctures.[/bt_quote]

A partir de plusieurs textes de l’écrivain (« La France contre les robots Â», « La liberté pour quoi faire? Â», « Scandale de la Vérité Â», « Les grands cimetières sous la lune Â», « La révolte de l’esprit Â», « Nous Autres Français Â», « Le chemin de la Croix des Âmes Â», « Les enfants humiliés Â») , Hiam Abbass et Jean-Baptiste Sastre proposent un cheminement pertinent. De la réalité préoccupante de l’affaiblissement de la faculté d’aimer au danger encouru par le désespoir des médiocres, du constat affligeant que les démocraties ont pu réaliser les rêves de l’Allemagne nazi en concrétisant la bombe atomique à une réflexion cynique sur l’égalité, notion bien belle sur le papier mais qui « prolétarise les peuples Â». D'ailleurs l’égalité nécessite la discipline...Et de l’égalité, naturellement, l’on en vient alors à poser la question de la liberté et de sa survivance possible au sein de la crise que traverse le monde. Et un cri : « c’est la liberté qui va périr. Â»

[bt_quote style="default" width="0"]La liberté est une réalité vivante. Elle ne veut pas être aimée. Elle veut être sauvée. [/bt_quote]

Liberté…Liberté de penser? Un bilan Monsieur Bernanos? : « La liberté de pensée se conquiert chaque jour. Â» Elle impose «une clairvoyance héroïque Â». Les jeunes générations accepteront-elles de renoncer à leurs illusions confortables pour reconquérir la liberté? Le monde d’aujourd’hui semblant préférer le confort aux vertus, rien n’est moins sûr…

[bt_quote style="default" width="0"]C’est toujours au nom de l’égalité qu’on a étranglé la liberté. [/bt_quote]

Et puis évidemment, on évoque l’argent. « Signe de l’effondrement des valeurs spirituelles Â» mais qui ne peut être accusé de tout. Ce serait trop confortable. Et puis la technique. « Vous avez rempli un monde de robots. Â» "L’invasion de la machine". Et le refus de Georges Bernanos d'être considéré comme un rétrograde : « Je ne regrette pas le passé; je l’honore…mais je ne pense qu’à l’avenir. Â»

[bt_quote style="default" width="0"]Les monstres grandissent parce que nous rapetissons sans cesse.[/bt_quote]

Critique acerbe d’une société qui veut toujours « aller vite Â»â€¦mais « aller où ? Â». Constat d’une réalité affligeante : les machines arrachent l’homme à lui-même et à ses angoisses. Autopsie de la liquidation en bonne et due forme d’une société « stérilisée par l’esprit de vieillesse Â».

[bt_quote style="default" width="0"]L’esprit ne se mange pas. Il vous empêche seulement d’être mangé.[/bt_quote]

Hypocrites, imbéciles! Entendez le cri amer d’une âme éclairée qui vous prie de voir avec lucidité ce monde nouveau , « conspiration universelle à toute espèce de vie intérieure. Â» « Il y a mille fois plus d’honneur à vivre qu’à survivre Â» conclut-on...avant d'entendre la voix de Georges Bernanos en personne. Puis l’on quitte la salle l’esprit stimulé et fier - on avoue- de s'être détaché, l’espace d’un peu plus d’une heure de cette démocratie de robots qui fait de nous des êtres de divertissement et de besoins animaux et nous empêche sciemment de nous reconnecter à nous-mêmes. Souhaitons qu'une émulation porte vos pas jusqu'au Théâtre des Halles ou ailleurs...tous les lieux de recueillement philosophique ci-dessous!

La France contre les robots et autres textes de Bernanos
De Georges Bernanos
Adaptation : Jean-Baptiste Sastre et Gilles Bernanos
Conception et mise en scène : Hiam Abbass et Jean-Baptiste Sastre.
Création lumière : Dominique Borrini, régie lumière Shadé Mano
Avec Jean-Baptiste Sastre et la voix de Gilles Bernanos
Texte publié aux éditions Gallimard et Castor Astral
COMPAGNIE LIBERTÉ SCÈNE NATIONALE DE TOULON
CORÉALISATION : THÉÂTRE DES HALLES
Production Châteauvallon - scène nationale
Production déléguée Liberté - scène nationale de Toulon
La compagnie est soutenue par le Centre français de Berlin et le Théâtre des Halles
Partenaires Toulon Provence Méditerranée, Conseil Départemental du Var, Ministère de la Culture-DRAC PACA, Région Sud-PACA, Ville de Toulon

Crédit-photo : Alice Perotti

Dates et lieux des représentations :
- À 19H30 : DU 6 AU 29 JUILLET 2018 - RELÂCHES : 9, 16, 23 JUILLET - au Théâtre des Halles ( Rue du Roi René, 84000 - Avignon) - Festival Avignon OFF 2018
- Du 17 au 20 octobre 2018 à Le Liberté, scène nationale de Toulon
- Du 15 au 18 novembre 2018 au Théâtre Jean Vilar de Suresnes
- Du 28 novembre au 1er décembre 2018 à La Cave à Poésie - Toulouse