Cyrano, du rire aux larmes
- Écrit par : Marie du Boucher
Par Marie du Boucher - Lagrandeparade.fr/ On ne présente plus la pièce d’Edmond de Rostand : Cyrano, laid avec son grand nez, aime sa cousine. Roxane, elle, tombe en pamoison pour le beau baron Christian de Neuvillette. Celui-ci a fière allure mais ne sait pas composer de vers. C’est Cyrano qui va aider Christian à séduire Roxane en lui soufflant ses mots.
Au début, c’est une farce. La direction d’acteurs paraît un peu outrancière : Roxane, mi-pimbêche, mi-cruche, confie à Cyrano son amour pour Christian. On n’est pas convaincu, d’autant que Stéphane Dauch (Cyrano) force la voix – on se demande s’il va tenir tout du long, et si cette énergie ne va pas s’essouffler.
Que nenni ! La mise en scène de Jean-Philippe Daguerre emporte, et on est suspendu, plus de deux heures durant. On oublie la voix forcée de Cyrano, et, à partir de la scène du balcon, le ton devient plus sérieux. Finalement, le côté bouffon n’aura été qu’une manière de se moquer de soi-même avant de dire de la poésie, une façon de désamorcer notre cynisme pour nous laisser goûter au lyrisme de ce chef d’œuvre romantique.
A partir de l’acte IV, l’émotion s’installe. Et, à la scène finale, ce sont – fait rarissime au théâtre – des larmes qui perlent sur les joues. D’abord solitaires, puis de gros bouillons dans la dernière tirade de Cyrano, pour celui qui a tu pendant tant d’années, un amour demeuré secret. C’est une pièce sur l’honneur, la dignité face à la mort, et surtout, le panache. Edmond de Rostand disait lors de son discours d’entrée à l’Académie française : « Le panache, n'est pas la grandeur mais quelque chose qui s'ajoute à la grandeur, et qui bouge au-dessus d'elle. C'est quelque chose de voltigeant, d'excessif - et d'un peu frisé [...], le panache c'est l'esprit de bravoure. [...] Plaisanter en face du danger c'est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l'héroïsme, comme un sourire par lequel on s'excuse d'être sublime » Cette qualité éminemment française est représentée ici à merveille. L’écrivain accouche de cette œuvre à vingt-neuf ans, entre plusieurs crises de dépression. Il ne parviendra jamais à égaler ce premier succès.
Tout, dans la mise en scène, est calculé avec beaucoup de justesse : l’occupation du plateau (ils sont onze sur scène), les costumes (superbes). Le coup de maître consiste à accompagner Cyrano d’un violoniste qui égraine des airs lors des monologues et des transitions. La musique composée par Petr Ruzicka (à partir de partitions d’époques) vient s’inscrire délicatement en contrepoint des dialogues, et touche au sublime. Quelle émotion pour ce gascon !
Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand
Mise en scène : Jean-Philippe Daguerre
Avec : Stéphane Dauch, Charlotte Matzneff, Simon Coutret ou Alex Disdier, Edouard Rouland, Yves Roux ou Grégoire Bourbier, Didier Lafaye ou Antoine Guiraud, Geoffrey Callènes, Emilien Fabrizio, Nicolas Le Guyader, Mona Thanaël ou Barbara Lamballais, Petr Ruzicka ou Survier Flores ou Aramis Monroy.
Musique Originale : Petr Ruzicka
Costumes : Corinne Rossi
Décor et Accessoires : Vanessa Rey-Coyrehourcq
Au Théâtre Le Ranelagh ( 5 rue des vignes - 75016 Paris)
A partir du 10 septembre 2015
Durée : 2h
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Une mise en scène lumineuse et émouvante
Comment adapter un classique déjà mille fois adapté, au théâtre comme au cinéma, sans trahir le texte ni l'intention d'un dramaturge, tout en évitant de lasser le public avec une énième version dispensable ? La compagnie Le Grenier de Babouchka semble avoir trouvé la bonne formule pour éviter tous ces travers. Pour preuve, cette flamboyante version de Cyrano de Bergerac, avec morceaux de bravoure, vrais combats à l'épée, chants gascons, lyrisme et humour communicatifs. Certes, tout est magnifique dans le texte originel : la langue, tour à tour drôle, truculente, romantique, pathétique ; les personnages, remplis d'abnégation, de courage, et de sentiments exacerbés. Mais la mise en scène de Jean-Philippe Daguerre, tout en rendant parfaitement justice aux qualités de la langue d'Edmond Rostand, nous offre un spectacle total, mêlant théâtre, musique, chant, et chorégraphies aux effets très réussis.
La magnifique trouvaille de cette mise en scène, c'est d'avoir imaginé un double au personnage de Cyrano. Ce double, c'est le violoniste virtuose Petr Ruzicka qui l'incarne, affublé du même nez proéminent que celui de l'acteur principal, et jouant des pièces musicales inédites écrites par Rostand lui-même. Il apparaît comme l'âme de Cyrano, transcrivant par sa musique ce qui ne peut se traduire en mots. Cette alternance donne lieu aux scènes les plus émouvantes de la pièce.
Il faut également saluer la performance du comédien Stéphane Dauch, aussi à l'aise dans les scènes physiques que dans un registre plus intime ou sentimental. Il enchaîne les alexandrins avec virtuosité, court, chante, prononce les déclarations les plus bouleversantes, "essorille et désentripaille" avec le même engagement. Le panache et la générosité de Cyrano lui vont comme un gant.
Charlotte Matzneff est tout aussi brillante dans son interprétation de Roxane : tour à tour audacieuse, facétieuse, amoureuse, faussement ingénue, elle entraîne le spectateur tout à fait consentant dans cette valse folle de sentiments, et elle est particulièrement convaincante dans les moments les plus tragiques.
Vous l'aurez compris, nous avons adoré ce spectacle, qui donne toute sa dimension au théâtre de troupe (car les comédiens sont nombreux sur scène, et montrent une belle cohésion), et comblera autant vos yeux que vos oreilles !
Dates et lieux des représentations :