Nouveau(x) genre(s) : l’analysée, la psy et l’interprétation de Lacan
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel -Lagrandeparade.fr/ Ecrit et mis en scène par Caroline de Diesbach, "Nouveau(x) genre(s)" entend mêler théâtre, chant, vidéo et musique. "Nouveau(x) genre(s)" se veut un voyage dans l’inconscient… Soit, mais dans l’inconscient de Caroline de Diesbach, alors, qui aurait dû et pu l’appeler « Voyage dans mon analyse ».
C’eut été largement suffisant et surtout très juste. Car c’est bien d’elle dont il s’agit, lorsque cette femme, sur le plateau, interroge son rapport au genre. Elle dépasse largement la question (on ne peut plus d’actualité) : « que signifie être une fille dans un monde dominé par les hommes ? Son spectacle va bien plus loin. C’est d’ailleurs écrit sur les affiches de cette pièce jouée à la Manufacture des Abbesses, à Paris : « C’est toute l’énigme de la féminité qui est interrogée (rien que ça !?), désir, fantasme, langage… ». Bref, un spectacle annoncé comme subversif et indécemment léger ! Avec point d’exclamation… Sans oublier Freud et Lacan qui sont invoqués. Tout doux, Caroline… « Trop de notes », reprocha-t-on à Mozart. Trop de déclarations d’intention peut tuer l’intention.
Il était inutile d’en rajouter ici. Car le duo proposé sur scène (la psy et l’analysée) suffit à lui-même. Une femme ressent le besoin de faire une analyse. Les scènes se succèdent : « venez », dit la psy, jouée tout en finesse par Isabelle Gomez (à la fois bienveillante et cassante). L’analysée, allure fragile mais décidée, entre alors en scène, s’assoit, parle et… la psy la coupe, au moment où elle le juge utile (un mot), par un cinglant : « On arrête là ». Ce mot (cu-cul, par exemple, ou « baiser la gueule ») est censé faire réfléchir l’analysée jusqu’à la prochaine séance. C’est évidemment un texte autant sur les maux de l’âme que sur les mots, bien entendu. L’analysée, en révélant sa parole intime, pendant les séances psychanalytiques, avance dans sa psyché, en reculant dans son passé. Et c’est passionnant car l’enquête évolue sous nos yeux et pour nos oreilles avec délectation. Caroline semble découvrir avec le public les multiples effets de la langue. Il faut dire aussi que l’ombre de Lacan « fait interprétation »…
"Nouveaux Genres" est une expérience intellectuelle qui ouvre le champ des possibles mais pourrait aussi nous laisser sur notre faim, si un débat n’était pas organisé à la fin, comme ce qui fut le cas le soir où nous avons découvert cette pièce touchante, puisque chacun d’entre nous peut se voir en miroir. Elle lève non seulement un voile sur ce qui se passe lors d’une psychanalyse mais également sur nos non-dits, ou trop-dits, voire mal-dits. C’est dit. A la limite (attention à ce que nous écrivons), les chansons et les vidéos sont presque de trop. C’est joli, travaillé, bien amené mais l’essentiel n’est pas là . Caroline de Diesbach (l’analysante) est largement assez passionnante, avec son jeu, ses interrogations, maladresses, passions, désirs, blessures, pour nous captiver. Elle qui est déjà autrice, metteur(e) en scène, comédienne, danseuse, chanteuse, depuis l’âge de 17 ans. On voit bien qu’elle est arrivée à maturité, libérée. D’autant plus qu’elle a une partenaire idéale, Isabelle Gomez (l’analyste), très à l’écoute, qui a travaillé avec Jérôme Savary - comme Caroline de Diesbach - et Roland Topor, entre autres. Il est joli ce geste, quand elles se quittent en se touchant la main en souriant, après chaque séance (parfois douloureuse), pour mimer le transfert d’argent, évoqué d’ailleurs. Ah ! L’argent… ça peut durer longtemps une psychanalyse ! Alors qu’il suffit parfois d’écrire un livre ou une pièce de théâtre. N’est-ce-pas, Caroline ? Voilà , c’est fait. Bravo Caroline de Diesbach. Vous pouvez être fière de vous. Votre psychanalyse valait bien un spectacle d’un genre nouveau. Pluridisciplinaire oui, mais l’essentiel c’est vous. C’est nous.
Nouveau(x) genre(s)
Texte et mise scène : Caroline de Diesbach
Actrices : Caroline de Diesbach, Isabelle Gomez
Musique : Marielle Tognazzoni, Thierry Epiney, Gilles Normand
Vidéo : Vincent Forclaz, Julien Valentini
Lumière : Jérôme Hugon
Décor : Valérie Margot
Chorégraphie : Géraldine Lonfat
Regard extérieur : Mathilde Braun, Sébastien Ehlinger
Conseiller artistique : Philippe Metz
- Jusqu'au 7 mars 2018 à la Manufacture des Abbesses( 7, rue Veron – 75018 Paris ) M° Abbesses ou Blanche. Réservations : 01 42 33 42 03 / manufacturedesabbesses.com. 2 places à 10 euros, jusqu’au 21 février, avec le carton « magique ».