Des enfants dans la guerre : « J’ai 13 ans, j’ai 14 ans, j’apprends l’homme. L’homme est une saloperie. »
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.fr/ Avec "C’est la guerre", Calaferte retrouve ses yeux d’enfant pour évoquer la grandeur et les bassesses des hommes d’hier et d’aujourd’hui.
« J’ai 13 ans, j’ai 14 ans, j’apprends l’homme. L’homme est une saloperie. » Il faut être un Louis Calaferte pour écrire pareille chose. La sentence est de l’auteur du scandaleux (pour les hypocrites et les cagots) "Septentrion", roman-tempête comme le furent les livres d’Henry Miller. Avec "C’est la guerre", édité en 1993, un an avant sa mort, l’auteur retrouve le regard de l’enfant qu’il était en 1939 – il avait alors 11 ans. Le verbe est celui de l’écrivain qui, tout au long d’une œuvre trop peu connue, a lancé à la gueule de la société des imprécations d’où ne fut jamais exempte la poésie. La compagnie Les âmes libres a mis en scène ce brûlot qui couvre la période comprise entre la déclaration de la Seconde guerre mondiale et la Libération de la France. Les trois comédiens (Véronique Boutonnet, Richard Arselin et Franck Etenna) endossent la peau des dizaines de personnages appelés à témoigner sur les désastres de la guerre. Tour à tour enfants scrutant le ciel zébré de stukas, commerçants s’enrichissant au marché noir, miliciens, juifs tentant de fuir les rafles, ils incarnent le petit peuple, celui qui souffre, supportant la folie des planqués de la finance et de la politique.
Le décor est réduit aux accessoires qu’on agence pour signifier un lieu, une voiture chargée de gens sur la route de l’exode. Un escabeau dans un coin est l’arbre où se réfugient les gamins pour observer un monde qui s’effondre sous leurs yeux, témoins impuissants de la folie et des bassesses des adultes. Ces objets déplacés à la hâte, en prenant des fonctions nouvelles, témoignent des changements de comportement des individus soumis aux aléas du quotidien. En 75 minutes, défilent les scènes d’une geste qui modifiera durablement l’histoire du XXe siècle : Collaboration, Résistance, Libération. Calaferte, enfant du peuple, convoque ce même peuple pour l’évocation ; le peuple avec son langage vert et piquant comme un vin clairet, le peuple avec ses chansons, le peuple avec ses faiblesses, ses doutes et sa grandeur quand il réagit, parfois brutalement. Les comédiens changent de tenue à vue campant les personnages que l’histoire nous a rendus familiers. "C’est la guerre" fait écho aux soubresauts qui agitent le monde aujourd’hui. Elle s’est éloignée de notre sol, mais ses remous nous arrivent avec le flot des réfugiés, ceux que l’on voit à l’écran furtivement, loin, et qu’on retrouve tout à coup face à nous. Des gosses qui ont l’âge qu’avait Calaferte quand les Pétain, Déat, Doriot, Laval, envoyaient les juifs dans les camps ou qu’on rudoyait une résistante à l’aube dans une voiture noire. Des gosses, à la jeunesse abimée, sacrifiée, qui clament alors : « l’homme est une saloperie », en écho à : « la guerre, quelle connerie ! » de Prévert. Une belle performance de la compagnie Ames Libres et un avertissement utile en nos temps troublé.
C’est la guerre de Louis Calaferte
Par la compagnie Les âmes libres
Avec : Véronique Boutonnet : Metteur en scène,Comédienne
Richard Arselin : Comédien
Franck Etenna : Comédien
- Jusqu'au 10 février 2018 au Théâtre Essaïon, Paris 4e. Réservations : 01.42.78.46.42.