Résistantes : un sensible et talentueux huit-clos dans la France occupée
- Écrit par : Edith Huguet
Par Edith Huguet-Lagrandeparade.fr/ Résistantes est l'aboutissement de la rencontre extraordinaire d'une femme de 92 ans, mémoire vivante de la résistance et de Franck Monsigny qui l'a rejointe à Bergerac pour recueillir le récit authentique et fractionnaire d'une survivante militantiste de la France occupée de juin 44.
Femme courage engagée dans la mystérieuse armée de l'ombre, elle transmet les lettres des contacts rebelles et va cacher une famille juive pour défendre la liberté et lutter contre la domination nazie. Franck Monsigny va être bouleversé par cette histoire douloureuse que Lilianne Armand lui livre sans gloire. Elle extirpe de cette mémoire pudique et amère les détails intimes et violents qu'elle gardait secrets.Un Un épisode de trois jours qui provoqua un cataclysme dans sa vie de jeune femme de 30 ans et qui changera à jamais sa vision du monde.
[bt_quote style="default" width="0" author=" Lilianne Armand"]On ne devient pas résistant pour être héroïque On le fait pour être en paix avec sa conscience. [/bt_quote]
En prologue,une voix tremblante trouble le silence du théâtre. C'est la voix de Lilianne Arnaud qui nous percute immédiatement par la force narrative qui s'exprime tant elle est chargée de la puissante de son vécu. Elle est précise et instructive. On écoute religieusement chacun des mots sensibles de son récit-témoignage et déjà une émotion vive nous saisit.
Des bruits de bottes, les cris des Allemands, les chiens qui aboient, Geneviève court pour sauver sa peau. Elle est traquée alors elle pousse une porte pour trouver asile et fait irruption dans un salon cosy bleu faisant office de boudoir de repos. Elle vient de pénétrer dans la maison close "Petit Soleil". Les filles de joie attendent le client évoluant dans une ambiance décontractée. Elles vivent là , coupées de la sombre réalité du dehors. Elles ignorent ce qui se trame à l'extérieur, ce qui suscite en chacune d'elles des sentiments controversés.
La tenancière (Lenie Cherino) dirige ses filles avec rigueur et fermeté. Le dernier client lui a brisé la hanche, alors elle a pris ce rôle que Maurice lui a généreusement attribué. Elle garde un oeil bienveillant sur toutes, toujours prête à les aider . Mr Maurice (Franck Monsigny) préserve l'accueil des allemands pour mieux garantir la sécurité de ses protégées. Sa femme Mado est morte, il aide la résistance prenant part à leur cause. Et justement ,il reconnait cette femme perdue, échouée dans sa prison-refuge. Il décide de l'héberger.
Les pensionnaires narquoises vont l'aider à faire triompher la vie. Elle sont fortes de tant d'injustices, tant de souffrances, tant de douleurs. Elles espèrent encore l'amour dans ce bordel qui abrite toutes les couleurs de leurs peines. Geneviève Perrier (Caroline Filipek) a l'esprit rigide. Elle est dotée d'une insolente morale. Forcée de revêtir cette autre identité ,elle doit se confronter violemment à ces femmes quelle juge sans vertu. Deux mondes les opposent et "coiffée avec le loquet de la porte" elle va subir quelques railleries en réponse à son manque de tolérance.
Derrière des tentures légères transparaissent les coins de jouissance, une intimité réduite où les silhouettes des couples se dessinent oscillantes en clair-obscur par leurs ébats, mouvements saccadés rythmés de sons issus de leur plaisir. Un gramophone distille des chansons françaises rétablissant ainsi la gaieté. Geneviève est rebaptisée Rose. Elle est forcée de revoir ses croyances car son chemin sera à nouveau miné par la venue d'un officier allemand qui la choisit. Dans sa tenue légère, elle a le coeur qui saigne mais elle doit accepter cet ignoble sacrifice sur "ce matelas violé par la sueur des hommes".
Franck Monsigny réussit par ce sensible et talentueux huis-clos subtilement écrit à nous impliquer dans cette oeuvre cathartique. Il est le passeur du message de Lilianne Armand aux jeunes générations. La conservation de la mémoire est essentielle. Les situations, les mots sonnent justes. Les personnages sont remarquables et leur complicité évidente nous entraine au milieu d'eux. Lili (Maud Forget) est irrésistible en femme-enfant, fragile innocente , naïve jalouse que l'on a envie de prendre dans ses bras. Marcelle (Sandra Dorset) tendre pulpeuse, offre son corps , noble coeur déchiré ne vivant que dans l'espoir de retrouver sa gamine.
Stanislas Grassian signe une mise en scène éblouissante et délicate. Il dirige les acteurs avec un étonnant équilibre, allant à l'essentiel. L'âme supplicié de Lilianne, la froideur ironique de l'officier, la peur qui transpire d'Elise, la compassion de Marcelle et l'altruisme de Maurice.... les sentiments exprimés forts d'une vérité sidérante nous éclaboussent et l'on reste muet et touché devant tant d'authenticité.
Cette pièce nous rappelle que les drames universels sont encore et toujours présents. Dans un monde en proie aux pires convulsions, merci d'avoir mis en lumière cette" femme glorieuse" et par là d'avoir souligné que malgré la vulnérabilité de ces femmes "résistantes" ,elles participent à leur mesure avec courage et souvent avec abnégation à la rédemption des sociétés.
[bt_quote style="default" width="0" author="Lucie Aubrac"]Le mot résister doit toujours se conjuguer au présent.[/bt_quote]
Résistantes
Interprète(s) : Caroline Filipek, Manuel Sinor, Franck Monsigny, Maud Forget, Sandra Dorset, Lénie Chérino
Metteur en scène : Stanislas Grassian assisté d'Inès Guiollot
Productrice : Sabine Perraud
Scénographes : Sandrine Lamblin & Camille Ansquer
Créateur lumières : Denis Koransky
Compositeur : Nicolas Chaccour
Costumière : Alice Touvet
Régisseuse : Mélanie Wojylac
Co-producteur : Slimane-Baptiste Berhoun
Diffusion : Delphine Ceccato
Cascadeur : Francis Descraques
Chorégraphe : Mathieu Poggi
Assistante de production : Anais Vachez
Maquilleuse : Marjolaine Vialle
DURÉE : 1H20
- À 13H20 : DU 7 AU 30 JUILLET - RELÂCHES : 10, 17, 24 JUILLET au Théâtre du Roi-René - Avignon Off 2017
RÉSERVATIONS : +33 (0)4 90 82 24 35 +33 (0)7 81 41 24 96
À partir de 12 ans