Sandre : le monologue percutant d’Erwan Daouphars
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Disons-le de suite…L’idée d’un monologue sur une mère infanticide peut provoquer des hauts-le-coeur et des réactions vives du genre « Ah non, moi, pas envie de ce genre de pièce là … ». Et bien vous avez tort, « Sandre » est un petit bijou d’interprétation qui n’exclut ni le rire, ni la tendresse et qui, même s’il darde plusieurs fois l’estomac de coups violents, n’a rien de dichotomique et aborde ce thème difficile avec autant d’intelligence que de talent.
Un homme, assis, là , dans un vieux fauteuil de velours sous lequel apparait déjà de manière inquiétante un tapis de clous qui en a même profité pour envahir le dessous de l’assise. A côté de lui, un guéridon surmonté d’une lampe à abat-jour vieillot. Le reste est plongé dans le noir. Il est seul, entouré de cette obscurité inquiétante qui l’isole. Erwan Daouphars, avec sa barbe mal rasée et ses habits masculins, ne cherche pas à jouer une femme à proprement parler. Et c’est là que commence le tour de force car seules son émotion et la justesse de son jeu font transparaître peu à peu derrière ses traits virils le personnage en question. Elle est en robe de chambre. On apprend peu à peu à la connaître...des conseils rétrogrades de sa mère pour être une bonne épouse ( remplir l’estomac de son mari) à la rencontre avec ce dernier, la naissance des deux enfants, l’amour qui s’étiole, la maîtresse - la secrétaire Sandrine - que l’on devine et les mots fatidiques « je te quitte » qui vont faire qu’elle va « sortir » d’elle-même. Où est sa place? Qui pense véritablement à elle? Qui lui apporte le soutien nécessaire face à la séparation annoncée? Véritable Médée moderne, cette femme désarmante qui semblait tout supporter avec un sourire impeccable bascule dans l'impensable car, sans savoir bien comment, il y a un bébé qui s’invite là , au fond d’un ventre qui ne peut pas l’accueillir. Autopsie d’une vie ordinaire. Tragédie d’un infanticide annoncé.
[bt_quote style="default" width="0"]Ce qui est certain, c'est que je ne voulais pas faire de la peine aux gens. Mais j'ai tué quelqu'un. Une fois, j'ai tué quelqu'un, même si je ne suis pas folle.[/bt_quote]
Les mots de Solenn Denis sont simples. "Il ne s'agit pas de dédouaner, nullement d'ôter la responsabilité à ces femmes meurtrières, simplement de donner la permission de pouvoir réfléchir à tout cela." Et pour réfléchir, montrer un comédien homme " pas une comédienne qui pourrait, que l'on pourrait imaginer, être mère. Un être humain qui ne portera jamais dans son ventre un enfant. Par ce moyen, pouvoir être à la bonne distance, réussir à dépasser notre répulsion première, notre envie de fuite. Entrer dans l'intime tout en sortant de l'affect."
La langue est au début maladroite, hésite à se confier, « engourdie comme une tarte renversée ». Puis le personnage de cette femme qui sourit sans cesse se dessine derrière les mots et le visage bouleversant du comédien : « Moi je souris pour que mon cerveau croit que je suis heureuse…et ça passe. » D’anecdotes en pensées réalistes, une situation humaine terrible se profile : celle d’un individu qui s’est oublié et s’est effacé peu à peu, devenant ce qu’on lui demandait d’être, un ustensile pratique de cuisine, une génitrice, une plante verte lors des barbecues avec salade de thon et oeufs durs. Alors on rit jaune parfois, on s’attendrit, on valide ses colères en complicité « Elle croit que j’ai des rondelles de saucisson devant les yeux? ». Des baisers à la réglisse dont on ne profite plus à cette après-midi où le sang dégouline entre les jambes, du sourire vaillant et courageux lorsque les enfants partent à l'école au meurtre dans la salle d'eau, ici il n’est pas question de juger. L’humanité vibre en Erwan Daouphars, avec ses parts d’ombre et de lumière.
L’abat-jour s’épanche de larmes amniotiques, la bouche dégorge de noir goudron, les mots d’une poésie étonnantes saisissent. "Sandre", « C’est mou comme un rêve » et ça secoue de manière salvatrice...Bouleversant et mémorable!
[bt_quote style="default" width="0"]Moi je préfère sourire que répondre aux gens qui veulent tout savoir.[/bt_quote]
Sandre
Interprète(s) : Erwan DAOUPHARS
Régisseur général : Yannick ANCHÉ
COLLECTIF DENISYAK - SOLENN DENIS & ERWAN DAOUPHARS
 - COPRODUCTION : DDD / THÉÂTRE NATIONAL DE BORDEAUX EN AQUITAINE
Durée : 1h25
Première en Avignon
Crédit-photo : Pierre Planchenault
Dates et lieux des représentations:
- Du 6 au 26 juillet à 13h45 ( Relâches les 12 et 19 juillet) à La Manufacture - Festival Avignon OFF
- Du 27 mars au 8 avril 2018 à la Maison des métallos du 27 mars au 8 avril - dans le cadre du focus "A la vie, à la mort"