Emmanuel Besnault : Molière, Scapin et la troupe de l’éternel été…
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Ah ! si Molière avait pu assister à l’adaptation de ses Fourberies de Scapin revisitées par la fabuleuse troupe de joyeux troubadours de la compagnie de l’Eternel Eté, au Lucernaire, il aurait sans doute versé une larme. Car la mise en scène d’Emmanuel Besnault n’a pas seulement donné un coup de jeune (un exploit !) à ce classique de la comédie, pourtant fort critiquée à sa sortie, mais elle lui a apportée quelque chose. Notamment cette idée géniale (tant pis pour l’effet de surprise) : faire entrer tout un public, avec Géronte, dans le sac destiné à le bastonner… Par quel miracle ? Allez donc voir la pièce. Il s’agit d’un tour digne de Scapin. Que diable allait-il faire dans cette galère ?
Revenons en arrière. Cette comédie, en trois actes et en prose, a été créée au Palais Royal le 24 mai 1671. Mazette ! ça fait un bail et pourtant… Quelle jeunesse !, répétons-le. Elle s’inscrit dans la tradition de la comédie italienne dans laquelle Molière avait déjà excellé au début de sa carrière (l'Étourdi, 1655) et vient à la suite des grandes pièces, le Tartuffe (1664), Dom Juan (1665), le Misanthrope (1666). Elle ne connaît lors de sa création qu'un faible succès. Il est alors reproché à Molière la grossièreté de ses procédés comiques et l'immoralité du sujet. Boileau critique son côté populaire et Fénelon, l'exagération des caractères. Molière à 49 ans quand il l’écrit. Il mourra deux ans plus tard.
Scapin, valet rusé et généreux, reprend du service au Lucernaire pour faire triompher l’amour véritable. Un petit rappel s’impose : nous sommes à Naples. Octave a épousé en secret Hyacinthe, une jeune orpheline qu’il a rencontrée par hasard et dont il est tombé immédiatement amoureux. Il se désespère en raison du retour prématuré de son père Argante. En effet ce dernier, qui ignore ce mariage, souhaite le marier à la fille de son ami Géronte, une jeune inconnue qui a momentanément disparu. Le fils de Géronte, Léandre, est lui secrètement amoureux de Zerbinette une jeune esclave égyptienne. Cette dernière risque d’être enlevée si Léandre ne rachète pas rapidement sa liberté. Octave se confie à Scapin, le valet de son ami Léandre. Scapin est un valet rusé, jamais à court d’idées, mais qui hésite à se mêler de ce qui ne le regarde pas : « A vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m'en veux mêler. J'ai sans doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d'esprit, de ces galanteries ingénieuses, à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies; et je puis dire sans vanité qu'on n'a guère vu d'homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d'intrigues, qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble métier. Mais, ma foi, le mérite est trop maltraité aujourd'hui, et j'ai renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d'une affaire qui m'arriva ».
Mais, touché par l’amour des deux jeunes gens et impatient d'essayer de nouvelles ruses, Scapin accepte de les aider. Il va s’attacher pour cela la collaboration de Silvestre, valet d’Octave. Le vieil Argante est fou de colère, car il vient d’apprendre le mariage secret de son fils et menace de le déshériter. C’est alors qu’intervient Scapin qui fait croire au vieil homme que son fils, ayant été surpris chez sa belle, n'a eu d'autre issue que de l’épouser. Tout n’est pas perdu, suggère le fourbe Scapin, car le frère de Hyacinthe serait prêt à un arrangement en échange d’une forte somme d’argent. La force de conviction de Scapin, puis les menaces physiques de ce prétendu frère (en fait, Sylvestre, le valet complice, déguisé) parviennent à convaincre Argante. Il se résigne à donner les deux cents pistoles à Scapin.
C’est parti pour une farandole de bons mots et de scènes cocasses. Le troupe de cinq comédiens et musiciens s’empare d’une des comédies les plus drôles de Molière dans un rythme endiablé de théâtre de tréteaux. La mise en scène décalée réinvente originalement ce grand classique vu et revu, en général au collège. Mais que l'on a plaisir à retrouver tant l’énergie et la verve de la jeune troupe est contagieuse. L’interlude musical, au départ, est assez déroutant. Une bande de jeunes fait de la musique sur la plage, près du port. Ils sont habillés comme des flibustiers tziganesques, dirons-nous… Scapin est presque féminin, sans être efféminé, limite Queer, délicieusement mutin et ambigu. On se croirait aussi dans un film de Tex Avery, alors qu’il s’agit évidemment de Commedia Dell’arte. Non seulement les acteurs sont excellents mais le décor, la scénographie et la mise en costume sont judicieusement maîtrisés, à l’aide d’étoffes, voiles et de draps, sans en rajouter. Argante et Géronte sont géniaux en vieillards ridicules. Comme les mêmes acteurs dans le rôle d’Octave et Léandre : ils sont cinq sur scène, on les croirait le double ! Le rythme est ébouriffant. On rit beaucoup. On est surpris. On en redemande. D’ailleurs, le Lucernaire a d’ores et déjà décidé d’accompagner ce spectacle au Festival Off d’Avignon et sans doute en tournée dans toute la France.
Les Fourberies de Scapin, de Molière, mise en scène Emmanuel Besnault.
Avec Benoît Gruel, Schemci Lauth, Geoffrey Rouge-Carrassat, Deniz Turkmen et Manuel Le Velly.
Le Lucernaire, théâtre rouge : 53, rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris
Tel : 01 45 44 57 34 / www.lucernaire.fr
- Du 7 au 30 juillet 2017 au Théâtre de La Luna -relâche les mardis - 11h35 - Avignon Off