Amphitryon : la fragilité de l’homme confronté à son propre dépouillement
- Écrit par : Philippe Delhumeau
Par Philippe Delhumeau - Lagrandeparade.fr/ Louis XIV aimait de Molière qu’il écrive des pièces de théâtre qui prêtent à rire et, de facto, qu’il les joue avec sa fameuse compagnie de comédiens fidèles jusque dans les grandes périodes de doute et d’égarement. Le 13 janvier 1668, c’est au Palais Royal que le roi accompagné d’une imposante partie de sa cour prit plaisir à voir Amphitryon de l’auteur éponyme. Cette comédie déroge en l’écriture des œuvres précédentes, tels L’Ecole des Femmes ou encore Sganarelle ou Le Cocu imaginaire. Des pièces subtilement construites sur un exercice de quiproquos laissant le jeu des comédiens s’ingénier dans un comique de situation prompt à déclencher l’hilarité. Molière, quelque peu obligé d’amuser Louis XIV et ses gens de cour, s’instigua dans une pièce prenant pour appui l’homme en déperdition d’identité face au pouvoir. Inspiré fut-il de coucher sur le papier l’influence des dieux en incarnant Mercure dans un registre inattendu. Les personnages en présence se révèlent aussi imprévisibles qu’impuissants dans les confrontations successives.
La scène du Théâtre prend les apparences d’un observatoire où le public assiste en témoin privilégié à une panoplie astrale librement inspirée qui défie les cieux depuis que le monde est monde. La scénographie de Delphine Brouard s’apprécie comme il se doit en pareille circonstance car à la réflexion créative se greffe l’envie d’émerveiller un texte au style inaccoutumé du registre de Molière. Des cintres, descend Mercure, Kristof Langromme, enveloppé dans un halo de fumée et scande à La Nuit, Jessica Vedel, sa volonté de semer le désordre chez les humains. L’effet technique est saisissant et magnifique s’avère l’initiative de Guy Pierre Couleau d’étourdir le public avec cette mise en scène exceptionnelle. Que dire des lumières de Laurent Schneegans qui, le spectacle durant, participent à ce feu d’artifice semé de fantaisie et de rebondissements. Lesdites lumières s’introduisent avec intensité ou intimité dans les impostures et les impertinences.
Guy Pierre Couleau a accentué la mise en scène sur le thème de l’identité. L’homme se révèle fragile, voire déstabilisé, face à un imprévu. Qu’il soit d’ordre amoureux, social ou matériel, l’homme s’engouffre dans un labyrinthe à la recherche d’une solution qui pourrait ne pas venir de lui mais de son double. Affaibli par les travers que lui impose le dédoublement de sa conscience, il s’identifie à la projection d’un autre en lequel il espère trouver la providence. Mièvre ou puissant, tel se dresse le point d’interrogation sur le fondement de la liberté d’être et de penser. Le soi et son sosie ne font qu’un dans l’édification de l’œuvre qu’est l’être humain. L’intention d’être dénude la raison d’exister en son âme quand l’homme se mésestime et s’égare dans les pendants de son double qu’il peine à contrôler. Ainsi en est-il entre Sosie et Sosie, Amphitryon et Amphitryon. L’histoire serait trop simple à raconter sur le papier si la mise en scène et la dynamique de jeu des comédiens étaient palpables le spectacle livré. Amphitryon est à voir pour comprendre que l’homme souffre d’être bien peu face à la puissance des dieux.
Guy Pierre Couleau est homme qui voue une passion sans modération pour le théâtre et la partage, avec une esthétique qui lui appartient, à destination d’un public toute génération. C’est la force intérieure doublée d’une estime de l’autre qui coule avec subtilité et intensité dans le théâtre de Guy Pierre Couleau et de l’équipe qui l’entoure. Amphitryon en est la vérité artistique et humaine par la magnifique distribution des comédiens en présence.
Amphitryon de Molière
Mise en scène : Guy Pierre Couleau
avec Isabelle Cagnat, Luc-Antoine Diquéro, Kristof Langromme, Nils Öhlund, François Rabette, Jessica Vedel et Clémentine Verdier
Lumières : Laurent Schneegans
Scénographie : Delphine Brouard
Costumes : Laurianne Scimemi
Maquillage : Kuno Schlegelmilch
Production : Comédie De l’Est – CDN d’Alsace
Coproduction La Comédie Poitou-Charentes - CDN
Dates et lieux des représentations:
-Le 4 décembre 2016 au Théâtre 71 - Malakoff
- Du 17.01 au 28.01.17 aux Célestins, Théâtre de Lyon
- Le 22.03.17 au Théâtre Victor-Hugo, Bagneux
- Les 10.05 & 11.05.17 à Le Bateau Feu, Scène nationale de Dunkerque
© André Muller