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Monsieur Kaïros : quand l’écrivain se prend pour Dieu…

  • Écrit par : Guillaume Chérel

Monsieur KairosPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Sommes-nous libres d’agir, de choisir ? Sommes-nous certains de bien nous connaître ? Que voient les autres lorsqu’ils nous regardent ? Pouvons-nous modifier le cours de notre existence ? Toutes ces questions sur le libre-arbitre, Luigi Pirandello, prix Nobel de littérature, se les est posé avant nous et Fabio Allessandrini, qui met en scène et joue « Monsieur Kairos Â» au Lucernaire, salle Paradis. Et ça tombe bien parce qu’on croit rêver en assistant à cette pièce à deux protagonistes, aux frontières du réel : comme la série oui… Au début tout a l’air normal : un homme est assis devant son ordinateur. Il écrit. Puis il répond à une voix qu’on imagine être la transposition d’un dialogue sur les réseaux sociaux. Il chatte, quoi. Mais peu à peu ça se complique…
Un soir, une nuit, sans le vouloir, un auteur réveille le personnage principal de son nouveau roman. Pensant d’abord à un piratage informatique, il est bien obligé de se rendre à l’évidence : l’homme qui se tient devant lui est le chirurgien héroïque dont il dépeint les aventures dans ses livres. Ce médecin en zone de guerre découvre lui aussi sa condition de personnage et affirme à celui qui dirige sa vie qu’il en a marre, il ne veut plus se retrouver dans des conflits, il rêve d’enfants à soigner et de vieux à gaver de médicaments. Il veut découvrir les supermarchés le samedi après-midi : une vie normale quoi. A la fois grave et faible, il veut quitter l’habit du héros qu’il n’est pas. Lequel délire ? Lequel est dans le vrai ?

L’auteur, joué par Fabio Allessandrini (tour à tour grognon puis fasciné), ne veut évidemment rien changer à la vie de son personnage (Yann Collette, parfait en métaphore du cerveau qui cogite…) pour ne pas provoquer un effet papillon et voir une ribambelle d’autres personnages (fictifs ?) se ruer dans son salon pour demander une vie meilleure. On passe du réalisme au surnaturel, aux questions philosophico-ontologiques et c’est troublant, surtout quand on se pique d’écrire… Seuls les écrivains (ou les artistes plasticiens peut-être) peuvent comprendre ce que veut dire un personnage qui s’impose dans une oeuvre, ou le fait qu’on peut avoir l’impression de vivre dans un monde parallèle, une autre planète, le temps d’un livre. Ce qui fait, en moyenne, des mois passés en mode je-suis-là-mais-pas-vraiment. Bref, l’idée est géniale, les interprètes sont justes et le décor à sa plus simple expression ne détourne pas l’attention, mais la mise en scène manque peut-être un peu de rythme. Ça traîne un peu parfois. Les deux acteurs ne surjouent pas (on se demande si Allessandrini, plus nerveux, physique, n’aurait pas dû jouer le baroudeur campé par un Collette tout en finesse). C’est réaliste et à la fois étrange. Les jeux de lumière et la musique donnent une ambiance mystérieuse. Fabio Allessandrini en profite pour exprimer son horreur de la guerre, et parfois son humour, lorsque Yann Collette se plaint de passer pour un héros alors qu’il fait de la boucherie. Les deux hommes se rencontrent, se parlent mais restent dans leurs univers parallèles respectifs et, comme Frankenstein, le chirurgien – sans nom – lui échappera, refusant de rester cloisonné à la mémoire de son auteur, devenant à son tour « Kaïros Â» (1), personnage insaisissable. On sort de la salle avec plein de questions dans la tête : Sommes-nous libres d’agir, de choisir ? Sommes-nous certain de bien nous connaître ? Que voient les autres lorsqu’ils nous regardent ? Pouvons-nous modifier le cours de notre existence ?

Monsieur Kaïros
Durée : 1 h 10
Ecriture et mise en scène : Fabio Allessandrini

- Du 19 octobre au 3 décembre 2016 - Au Lucernaire, salle Paradis. (53, rue Notre-Dame-Des-Champs – 75006 Paris) Tel : 01 45 44 57 34 / www.lucernaire.fr


(1) Kairos est le dieu de l'occasion opportune, du right time, par opposition à Chronos qui est le dieu du time. Il est souvent représenté comme un jeune homme ayant une épaisse touffe de cheveux à l'avant d'une tête chauve à l'arrière; il s'agissait de "saisir par les cheveux" lorsqu'il passait...toujours vite.


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