Moriarty : Epitaph, une danse lyrique de qualité entre les vivants et les morts
- Écrit par : Virginie Gossart
Par Virginie Gossart - Lagrandeparade.fr/ Après leur album de reprises "The Fugitives" (2013), belle incursion chez les pionniers du folk américain, le quatrième et dernier opus des sept membres de Moriarty semble reprendre sa route là où les avait menés "The Missing Room" en 2011.
Comme l'explique le groupe franco-américain, Epitaph est né de la volonté de rassembler des fragments inachevés issus de diverses tournées et de projets parallèles : des enregistrements de morceaux improvisés puis perdus, capturés dans les coulisses des théâtres, les chambres et les sous-sol ("G.I. Jesus", "Reverse (Anger)") ; des histoires de femmes tragiques ("Za Milena J.", "Maybe A Little Lie"), écrites et et enregistrées dans le grenier d'une ferme nichée au fond d'une vallée alsacienne ; l'histoire d'un homme déchu, "Ginger Joe", improvisée en roulant à vélo à travers Kyoto, puis enregistrée en compagnie des sorciers cajuns Mama Rosin ; l'adaptation musicale du Maître et Marguerite de Boulgakov, pièce radiophonique réalisée en collaboration avec France Culture, qui donna naissance à six nouveaux morceaux ("Across From My Windows", "When I ride", "Long Live The (D)evil", "Fire Fire"...) ; enfin, au retour de trois ans de tournée, la bande de Rosemary Standley a posé ses valises à Paris et laissé émerger de nouvelles chansons ("History of violence", "Diamonds never die"). Beaucoup de titres ont d'abord été expérimentés sur scène, puis modifiés avant de trouver leur place définitive sur l'album. L'ensemble forme un corpus de treize morceaux, ou plutôt les treize nouvelles à la fois sombres et enjouées d'une anthologie tournant autour du thème de l'au-delà , du passage d'un monde à un autre, de la danse entre les vivants et les morts. Sorte de memento mori sonore et dansant, oscillant sans cesse entre burlesque, ironie et mélancolie.
On y retrouve sans surprise – et avec un brin de déception peut-être ? - ce mélange de blues rock, de folk et de country, joué dans un esprit vintage, artisanal, poétique et mystique qui constitue depuis longtemps la marque de fabrique du groupe et sa différence. Les références littéraires sont toujours aussi pointues : du roman culte de Boulgakov, en passant par Milena Jesenská, l'amante impossible de Kafka, jusqu'à la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann, qui périt dans l'incendie de sa chambre d'hôtel... Aucun fantôme gothique et mystique ne manque à ce recueil. Mais la recette est imparable : dès le premier titre, "When I ride", la voix aigre-douce et intemporelle de Rosemary Standley nous emporte dans un trip que les artistes de la beat generation n'auraient pas renié et on se dit que le groupe n'a jamais aussi bien porté son nom – inspiré du Dean Moriarty de Jack Kerouac. On pourra néanmoins reprocher à cet album, malgré le soin évident apporté à des compositions toujours élégantes et léchées, le caractère lancinant et somme toute assez classique des derniers morceaux, comme si Moriarty peinait à se renouveler et à sortir des acquis qui ont fait le succès de la formation.
Malgré les invariants de sa ligne musicale, Epitaph reste, dans le panorama de la production française actuelle, une création de qualité dans laquelle on se laisse entraîner sans résistance et qu'on aura plaisir à retrouver en concert.
Epitaph de Moriarty
Crédit-photo : Stephan Zimmer
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