Gisèle Clément : une chercheuse universitaire au service de la pratique musicale afin de former un public à l'écoute et à la connaissance des musiques médiévales
- Écrit par : Dominique Flacard
Par Dominique Flacard - Lagrandeparade.com/ Interview de Gisèle Clément, Maître de conférence à l'université Paul-Valéry de Montpellier en histoire de la musique médiévale.
Maître de conférence à l'université Paul-Valéry de Montpellier en histoire de la musique médiévale, vous avez créé en Septembre 2014, une association, le CIMM. Pour quelles raisons ?
Je souhaitais travailler avec des artistes afin que mes cours soient plus vivants, qu'ils aient une dimension sonore importante et que les étudiants soient au contact d'artistes spécialisés sur ces musiques, je dis bien ces musiques, en parlant de la période médiévale et non la musique. Or la faculté ne finance pas les artistes. Donc, après avoir rencontré les collectivités territoriales, j'ai créé une association qui permet d'accueillir des artistes, en convention avec la faculté, et de les financer.
Que signifie cet intitulé : le CIMM, du ciel aux marges ?
Il s'agit du Centre International de Musiques Médiévales. Musiques médiévales au pluriel car la tradition orale est dominante à cette période de l'histoire musicale et nous ne connaissons que celles qui sont notées. Cela sous-entend que « la » musique en général, nous ne la connaissons pas, cela marque cette restriction.
« Du ciel aux marges » est emprunté à un chapitre d'ouvrage sur le Moyen-Âge et rappelle que la musique est représentée dans le ciel par les vingt quatre vieillards de l'Apocalyse, par les anges musiciens ; c'est la louange chantée à Dieu en perpétuité. De plus, la musique est le principe organisateur du monde pour les médiévaux. Elle est représentée, sous forme de dessins d'instruments, de fragments de partitions, dans les marges des manuscrits. Le jongleur, au sens médiéval, c'est à dire synonyme de musicien, est à la marge de la société. C'est une façon de dire que le musique est présente partout.
À qui s'adresse-t-il?
Il s'adresse
• aux étudiants qui ont accès aux cessions de cours spécialisés qui sont évalués dans le cadre de leurs études, aux résidences de sensibilisation qui se déclinent sous forme de recherches ou même de création ainsi qu'à des stages de lutherie.
• Au grand public, qu'il soit amateur éclairé ou grand débutant. Il peut assister aux concerts programmés par le CIMM, aux expositions, aux conférences de chercheurs, voir des films documentaires, visiter le salon d'archéo-lutherie.
• Aux collégiens qui découvrent, par la pratique,cette période musicale éloignée d'eux dans le temps, en travaillant avec des musiciens et chanteurs médiévistes.
• Aux étudiants du Conservatoire de Montpellier.
La musique ancienne, après une grande période d'oubli, connaît, actuellement, un véritable engouement. La période médiévale, pour laquelle vous oeuvrez en tant que chercheuse et maître de conférence, participe de ce mouvement. Quels différents modes d'actions avez-vous envisagés afin de la rendre vivante et accessible pour le plus grand nombre? Quels aspects en avez-vous dégagés pour l'organisation de stages ?
Outre les concerts, les conférences, les salons de lutherie que je viens d'évoquer, les stages sont les points forts du CIMM. L'angle d'approche récurrent est la modalité, car c'est elle qui régit le système sonore avec des échelles non tempérées, que les stagiaires découvrent par la pratique chantée, instrumentale, improvisée et par la théorie. Il s'agit de recréer les musiques dans le contexte de l'oralité. Ces stages s'articulent autour du chant grégorien, de la lyrique occitane, des motets du XIII ème du manuscrit de Montpellier, de la monodie du XIV ème siècle.
Pour ce qui concerne la résidence de création, le CIMM accueille sur un temps donné des ensembles qui créent un nouveau programme. Ainsi pour l'année 2019, la création s'intitule » Douce dame jolie », titre emprunté à une chanson de Guillaume de Machaut par « La Douce Semblance .....Ensemble for medieval music » constitué de quatre musiciens : Estelle Nadau, la chanteuse, Cristina Alis Raurich, organettiste, Florent Marie, guiterne et luth, et Brise Druisit, chant, vièle et direction artistique. Un travail de compréhension modale, en lien avec les chercheurs, s'établit autour du corpus des pièces choisies, toutes du XIV ème, qui sont monodiques. À l'issue de la résidence de création, ce programme sera donné en concert pour le CIMM dans l'abbaye de Gellone à Saint Guilhem le Désert puis il tournera sur toute la France.
Les instruments médiévaux ne sont pas parvenus jusqu'à nous. La connaissance que nous en avons s'appuie essentiellement sur l'iconographie, que ce soit la sculpture, les vitraux ou les dessins, les enluminures, sur quelques textes. Comment les stagiaires peuvent-ils se procurer ces instruments sur un plan pratique ?
Nous proposons un stage de lutherie par an. Il est ouvert à des stagiaires qui ont envie de travailler le bois. À titre d'exemples, citons, les ateliers des années précédentes au cours desquelles ont pris naissance une harpe en 2017, trois vièles romanes en 2018. En 2019, est prévue la facture d' une guiterne. L'objectif est d'avoir un parc instrumental plus riche qu'il ne l'est actuellement.
En effet, les stagiaires qui possèdent des instruments les apportent sinon le CIMM possède un parc instrumental qu'il peut prêter. Il lui arrive aussi de louer des instruments, notamment des organetti à un luthier italien. Le professeur qui anime le stage sur la technique de l'organetto, vient avec deux instruments différents qu'il prête, lui aussi.
Afin de finaliser le stage, un salon de la lutherie se tient une fois par an au cours duquel deux journées d'études avec les luthiers sont au programme.
C'est un événement à destination du grand public organisé à Saint Guilhem le Désert. Cette année, il est prévu sur la place du village, les 25 et 26 Mai. Sont attendus dix sept luthiers de France, un Italien et un Espagnol. Toutes les familles instrumentales seront présentées même si l'on attend plus de cordes. Une exposition est organisée, des démonstrations ont lieu sur place. Il est possible de passer commande. C'est un moment important car le public découvre des instruments qui n'existent plus actuellement. De plus, les échanges entre les professionnels sont facilités.
Sur quels critères choisissez-vous les artistes qui animent ces stages? Avez-vous des lignes directrices attribuant à votre association des styles précis ou, au contraire, êtes-vous ouverte à des approches différentes?
Tous les luthiers sont spécialisés sur les instruments médiévaux et aussi sur les instruments traditionnels. Ils travaillent en lien avec des musiciens professionnels, des chercheurs. Ils ont eux mêmes une démarche de recherche à partir d'iconographies, de textes littéraires et théoriques, d'archives et sont donc dans la recréation.
Beaucoup de demandes d'ensembles affluent auxquelles le CIMM ne peut répondre. Le choix des programmations des résidences d'artistes, des concerts est centré autour de l'époque romane, sur les musiques avant le XIV ème siècle. En effet, le XIII ème siècle est un passage durant lequel on normalise par l'écrit. Les onzièmes et douzièmes siècles sont différents sur le plan intellectuel car l'oralité domine. Or ce qui appartient à la musique n'est pas écrit. L'intérêt et la difficulté sont donc de retrouver, recréer les musiques qui accompagnaient les textes, en l'occurrence la poésie, dans la monodie accompagnée. Rien n'est écrit. Mais on sait que la musique a un lien fondamental avec la poésie, elle est intimement liée à la langue. A partir du squelette de la mélodie, quels mots doit-on orner ? Comment chanter en improvisant, soit la mélodie, soit le texte dans une langue du XII ème siècle ? Voilà quelques exemples de questions que se posent les interprètes. Les musiciens médiévistes se sont donc inspirés de la lyrique traditionnelle arabe qui repose elle aussi sur la modalité et sur son lien intime avec le texte.
De même, l'interprétation du chant grégorien est revu au travers des pratiques des chantres byzantins, des chrétiens syriaques qui ne privilégient pas le son, les voyelles, mais les mots, le discours.«Solesme » n'est pas grégorien mais une émanation du XIX ème siècle. Il ne s'agit pas de faire du copié/ collé mais de comprendre le processus de fonctionnement de ces chantres et chants orientaux.
Le CIMM est donc un espace de dialogue, de rencontres entre des musiciens qui ont des approches différentes d'une même problématique.
Quel bilan dressez-vous des actions des quatre années de fonctionnement ?
Nous avons des retours positifs en terme de qualité, de quantité d'actions, beaucoup de demandes de la part des ensembles pour faire diffuser leurs créations. Toutes les actions prévues ont été menées à terme. Les étudiants progressent. Un dynamisme, qui ne demande qu'à se développer, naît. Les actions sont nombreuses, variées. Les cours ont lieu tous les week-ends.
Afin d'être encore plus proche des artistes, des actions, il me serait utile de recruter un chargé de production ; pour l'instant, cette fonction est occupée par des services civiques que je forme. Ils s'occupent de la réalisation de supports de communication, de la mise à jour du site et des actions de médiation.
Ces stages trouvent leur point d'éclosion dans des concerts. Quels lieux et quelles périodes de l'année avez-vous choisi pour ces manifestations?
« Les marteaux de Gellone », ont lieu, depuis quatre ans, en Mai, essentiellement à L'abbaye de Saint Guilhem le Désert qui est un lieu majeur pour ce qui concerne la culture romane dans notre département, l'Hérault, village minuscule sur le chemin du pélerinage vers Saint Jacques de Compostelle, et qui ne comptait pas moins de trois églises à l'époque romane.
Les concerts de rue trouvent aisément leur place dans cet espace médiéval aux venelles étroites où les pierres vibrent au passage des ondes sonores. La musique prend alors une autre dimension dans un lieu correspondant à son style.
La programmation pour 2019
• 17 Mai à 20H30 : Chant grégorien de Saint-Jacques de Compostelle, concert participatif par les chantres du Thoronet ( dir. Damien Poisblaud)
• 18 Mai à 21H : Ladoncs, chantatz, amics, joutes poètiques et chants improvisés sur des textes et musiques de troubadours
• 25 Mai à 20H30 : Les rossignols des terres allemandes, chants de Minnesinger au Moyen-Âge par l'ensemble Céladon ( dir. Paulin Büdgen)
• Concerts de rue par Vagarem
• 26 Mai à 20H30 : Douce dame jolie, poésies lyriques amoureuses du XIV ème siècle par la Douce Semblance...... Ensemble for medieval music ( dir. Brice Duisit)
• Concerts de rue par Vagarem
Maison des choeurs à Montpellier
• 28 Mai 2019 à 20H00 : Dante troubadour, la Divine Comédie. Les sphères du paradis par la Camera delle Lacrime dirigée par Bruno Bonhoure et Khaî-Dong Luong. Leur conception du paradis est féminine; par conséquent, toutes les musiciennes sont des femmes. Petit clin d'oeil : l'entrée est gratuite pour toutes les Béatrices !!
Le site : cimmducielauxmarges.org
Le CIMM peut également être suivi sur Facebook, Instagram et Twitter.
Crédits des images : CIMM & Ugo Casalonga