Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Au départ, il y a « Helikopter-Quartet », de Stockhausen – un des grands-pères de l’électro - , une partition de folie, hallucinante, dixit Angelin Prejlocaj.

Le compositeur allemand avait écrit sa partition pour quatre musiciens et quatre hélicoptères, en 1995 : « Impossible à chorégraphier », pense-t-il, tout d‘abord. Dans la nuit, il se réveille, et se dit, à la manière de Che Guevara : « puisque ça paraît infaisable, faisons-le ! ».

Tout juste nommé académicien (des Beaux-Arts), le chorégraphe n’oublie pas qu’il a été un danseur on ne peut plus contemporain. Installé au Pavillon Noir d’Aix-en-Provence, il n’a eu qu’à faire un saut (d’entrechat) pour rejoindre Marseille, afin de présenter sa nouvelle création "Licht", à la Criée, qui n’a jamais aussi bien porté son nom.

Explications : des bouchons d’oreille « antibruit » sont proposés aux spectateurs (prévenus, donc) avant d’entrer dans la salle. Et pour cause, le public est directement propulsé dans les vrombissements orageux de la célèbre pièce. Autant dire que celles ou ceux qui ne sont pas prêts à « traverser la tempête » (il y en a) quittent les lieux, car la musique (qui se veut « vertigineuse ») est surtout une épreuve auditive.

Précisons tout de suite que les six danseurs qui tourbillonnent, dans un espace entre ciel et terre, sont magnifiques, dans leur lutte contre les forces qui les assaillent. Ecrasés par la lumière, ils résistent, inspirés par une énergie, radicale et organique, qui les aspire. Mais le public, lui, se sent agressé par le son, trop fort, qui semble vouloir le faire fuir. Puis, un silence, providentiel, salvateur, reposant, presque irréel, ouvre la… voie de la sortie, ouf ! ça ne dure qu’une heure serait-on tenté de penser. Soulagé.

Blague à part, le talent du DJ, Laurent Garnier, n’est pas en cause. C’est la proposition de Preljocaj qui peut être discutée, commentée : « Nous vivons dans un monde plutôt sombre mais j’y vois des lueurs », nous dit-il, dans sa note d’intention. Ce spectacle se veut une métaphore saisissante de notre époque, une invitation à danser malgré les mouvements de bascule, d’une intensité brute à une clarté solaire… soit. Mais pourquoi avoir jumelé cette reprise à sa création 2025, intitulée LICHT (Lumière) ?

Il souhaitait rendre un hommage à Karlheinz Stockhausen, on l’aura compris, mort (en 2007) juste après leur dernière collaboration, « Eldorado », présenté à l’Opéra de Paris, dans un programme comprenant déjà HELIKOPTER. Ce qui l’avait impressionné, c’est sa radicalité : « Stockhausen prend des risques, il cherche, essaie de se renouveler à chaque fois, en laissant à l’humanité comme un message avant-gardiste de ne jamais se satisfaire de ce que l’on sait faire, mais d’inventer toujours ». Si lui est bouleversé, on peut comprendre que le « béotien » ne le soit pas. Il faut avoir les codes, comme on dit. Les références. Dans le cas contraire, on se sent kidnappé, collé sur son siège.

Cette « performance » est résolument une œuvre de résistance, à une époque d’abrutissement généralisé, à cause des réseaux dits sociaux, où l’inquiétude et ou l’obscurcissement réapparaissent, dans un monde qui semblait aller inévitablement vers le progrès : « La société avance, même si le conservatisme nous revient en boomerang, conclue-t-il. Ça ne présume pas de l’issue de cette bataille. Nous sommes à un point de bascule de notre civilisation, c’est pourquoi ça tangue. Voilà ce que j’aimerais faire passer dans cette création. ». Il croit en un avenir de liberté immense, mais aussi de respect, d’inclusion, de tolérance, toutes valeurs qui sont celles d’une nouvelle génération. Ça n’empêche qu’on sort sonné de cette épreuve. L’expérience n’est pas agréable. Mais ce vacarme musical a le mérite de nous réveiller. Il ne laisse pas indifférent. Si on n’est pas assommé, écrasé; voire soulé, exaspéré, c’est bousculé qu’on reprend son souffle avec les vidéos de Holger Förterer. Une fois dehors, sur le Vieux-Port, les voiliers sagement garés nous rappellent que s’il n’y a pas de houle, et encore moins de vent, il n’y a pas de traversée en mer digne de ce nom.

HELIKOPTER / LICHT (CRÉATION 2025)
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Première mondiale le 10 avril 2025 au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Paris
HELIKOPTER Création 2001
Pièce pour 6 danseurs
Musique Karlheinz Stockhausen, "Helikopter-quartet’"
Interprétée sur la bande par Le Quatuor Arditti
Scénographie : Holger Förterer
Lumières : Patrick Riou
Costumes : Sylvie Meyniel
Assistant, adjoint à la direction artistique : Youri Aharon Van den Bosch
Assistant répétiteur : Paolo Franco
Choréologue : Dany Lévêque
Interprètes (en alternance) : Liam Bourbon Simeonov, Clara Freschel, Mar Gomez Ballester, Paul-David Gonto, Lucas Hessel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Beatrice La Fata, Yu-Hua Lin, Florine Pegat-Toquet, Valen Rivat-Fournier, Leonardo Santini
Commande de la Biennale Nationale de Danse du Val-de-Marne 2001
Coproduction à la création La Criée, Centre Dramatique National de Marseille ; Biennale Nationale de Danse du Val de Marne ; Maison des Arts et de la Culture de Créteil et du Val-de-Marne ; Groupe Partouche Casino Municipal Aix/Thermal
Avec l’aide à la création du Conseil Général du Val-de-Marne
Prix Herald Angel Award au Edinburgh International Festival

LICHT Création 2025
Pièce pour 12 danseurs
Chorégraphie  :Angelin Preljocaj
Musique originale : Laurent Garnier
Lumières : Éric Soyer
Costumes : Eleonora Peronetti
Vidéo : Nicolas Clauss
Extraits issus de « Stockhausen - Preljocaj / dialogue » filmé par Olivier Assayas © MK2TV 2007
Assistant, adjoint à la direction artistique : Youri Aharon Van den Bosch
Assistant répétiteur : Paolo Franco
Choréologue : Dany Lévêque
Interprètes : Liam Bourbon Simeonov, Clara Freschel, Mar Gomez Ballester, Paul-David Gonto, Lucas Hessel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Beatrice La Fata, Yu-Hua Lin, Florine Pegat-Toquet, Valen Rivat-Fournier, Leonardo Santini
Coproduction : Théâtre de la Ville-Paris
Crédit photo Photographies 1 à 4 "LICHT" et 5 à 8 "HELIKOPTER" © Yang Wang / Video © Julien Bengel

Dates et lieux des représentations : 

- Du 11 juin au 14 juin 2026 - La Criée- Théâtre National de Marseille, 
-  Vendredi 18 juillet 2025 au Teatro Comunale - Bolzano (Italie)
- Du jeudi 24 au samedi 26 juillet 2025 - Amphithéâtre - Châteauvallon - Ollioules
-  Mercredi 30 et jeudi 31 juillet 2025 - Théâtre de l'Archevêché - Aix-en-Provence
-  Vendredi 06 mars 2026 - Scène 55 - Mougins
-  Mardi 05 mai 2026 - Auditorium, Opéra de Dijon - Dijon
-  Du mercredi 20 au vendredi 22 mai 2026 - La Comédie de Clermont-Ferrand - Clermont-Ferrand