Exposition sur les coteaux de Passy : la canne magique de Balzac, prince de la mode
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Nichée sur les coteaux de Passy, la Maison de Balzac est la seule des demeures parisiennes du romancier qui subsiste aujourd’hui. C’est dans le cabinet de travail que Balzac a corrigé, de 1840 à 1847, l’ensemble de La Comédie humaine et a écrit quelques-uns de ses chefs-d’œuvre. En 2012, la Maison de Balzac a bénéficié de travaux de mise aux normes qui ont permis de moderniser la présentation.
La Maison de Balzac, sise dans ce quartier devenu chic aujourd’hui, à quelques encablures de la Tour Eiffel, qui n’existait pas encore, comme la Maison de la Radio évidemment, était à l’époque une modeste demeure de cinq pièces, entourée de champs peuplés de vaches. L’escalier qui descend aujourd’hui au premier n’existait pas et la légende selon laquelle il l’empruntait pour échapper aux huissiers est à oublier. Par contre, elle réserve de nombreuses émotions pour qui aime l’auteur de la Comédie humaine, et la littérature en générale.
Outre son bureau, où il écrivit son chef-d’œuvre, il y a sa canne… Une baguette magique, une trique ou un sceptre…? Les contemporains de Balzac furent intrigués par son apparence anormale (épaisse, large, pommeau criard), comme par la personnalité de son propriétaire. Balzac achète cet accessoire coûteux à crédit, convaincu de l’imminence d’un confort financier, grâce à « Eugénie Grandet » et « Le Père Goriot ». La canne est livrée le 18 août 1834 et se paie encore en avril 1835. Le prix signifiant (700 francs) se justifie par le pommeau d’or, fait avec des gravures fines et avec une constellation de pierres turquoises généralement associées avec les jeunes filles.
Balzac considère que l’artiste règne sur le monde grâce au pouvoir de sa pensée, et qu’il a donc le droit de s’affirmer comme prince de la mode. Voulant montrer qu’il a de bon goût, il commissionne un accessoire excessif à tous égards : extravagant par la taille de son bracelet comme par le pommeau en or, qui décore les armoires louées des Balzac d’Entraigues, une famille sans aucun lien de parenté avec l’écrivain. Et qu’est-ce que la capsule au bout du pommeau pourrait contenir ? Une mèche de cheveux de sa maîtresse ? L’objet crée une sensation sociale intense ; des journalistes et des caricaturistes en empruntent immédiatement dans un concours créatif.
La canne témoigne aussi de l’amour qu’a Balzac pour Madame Hanska, dont la chaîne enfantine a fourni les glands. Cette canne est-elle, en fait, magique ? Delphine de Girardin, dans son roman « La Canne de Monsieur Balzac » (1836), constate qu’elle rend invisible celui qui la porte dans sa main gauche : « M. Balzac se cache afin d’observer ; il regarde des gens qui pensent être seuls, qui pensent comme si personne n’avait jamais regardé pendant qu’ils pensent ; il observe des génies qu’il surprend au saut du lit, des sentiments dans leur peignoir, des vanités dans leurs pantoufles, des fureurs en chapeaux, des misères en vestes, et puis il met tous ces morceaux de vous dans un livre. ».
Comment expliquer autrement la cohérence et la complexité psychologique de ses personnages ? On sait qu’il écrivait seul, souvent la nuit. Le cabinet de travail qui a fait l’objet d’une rénovation récente, l’une des pièces les plus émouvantes du musée, permet de l’imaginer face à son imagination, couchant sur le papier la description si précise d’un monde purement imaginaire… basée sur la réalité. Car Honoré de Balzac fait feu de tout bois. C’est une éponge qui s’inspire de ses rencontres, lectures, mésaventures. Ainsi, il passa sa vie à courir après l’argent, l’argent, l’argent ! c’est le moteur de son œuvre et de la société en général. Cet éternel désir, inassouvi, au risque d’y laisser la vie, comme il l’a écrit dans « La peau de chagrin ».
L’exposition « Entre artistes » confronte cette vision mythique du travailleur de la nuit, avec la réalité de l’œuvre d’un grand artiste fortement marqué par la pensée contemporaine (il voit se développer la presse, la publicité entre autres). Le foyer de l’opéra, les rédactions des journaux, les soirées littéraires offrent autant d’occasions aux artistes de se croiser.
Dans le brillant salon de Delphine de Girardin, Balzac côtoie ainsi Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, Alexandre Dumas, George Sand, Alfred de Musset ou Franz Liszt. Ces liens plus ou moins amicaux exercent une influence profonde et stimulent Balzac, l’amènent à se lancer dans des entreprises parfois audacieuses, que ce soit en art ou en politique. Il n’hésite pas à solliciter des spécialistes pour mieux comprendre la musique ou la peinture, à solliciter ses amis pour l’écriture d’une pièce de théâtre ou de poèmes qu’il insère dans ses romans. Et quelques personnages de « La Comédie humaine » s’inspirent de ces fortes personnalités. Mais ce sont aussi leurs réalisations, des sculptures, des gravures, des pièces de théâtre, qui ont suscité des personnages, voire une nouvelle, un roman.
Cette complexe réalité a été occultée par la représentation d’abord caricaturale et progressivement héroïque de Balzac qu’ont très tôt donné les plus grands peintres, dessinateurs et sculpteurs. Leurs œuvres, depuis 1830 et jusqu’à aujourd’hui, suggèrent diverses facettes de l’écrivain dont elles enrichissent le mythe, et ces portraits de Balzac, seul ou en groupe, forment autant d’interrogations sur ce que peut être la création artistique.
De la petite table en bois sur laquelle aura été écrite toute « La Comédie humaine », jusqu’aux tout récents portraits de l’écrivain par Eduardo Arroyo, en passant par les caricatures d’Henry Monnier, la Maison de Balzac explore, le temps d’une exposition, le regard porté sur la création artistique d’Honoré de Balzac.
Grâce à la présentation originale d’un grand choix de peintures, sculptures et objets d’art, le musée invite à découvrir la complexité de l’œuvre de l’écrivain et son universalité.
Exposition Balzac et les artistes : mythe et réalité, ouverte du 17 juin au 2 octobre 2016, tous les jours de 10 h à 18 h, sauf les lundis et jours fériés.
Maison de Balzac, 47, rue Raynouard – 75016 Paris
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