Basquiat-mania in Paris… avec deux expositions!
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Tout sens dessus dessous, le monde des arts et de la culture en ce printemps à Paris.
Deux expositions font l’événement. La première dans l’ouest parisien en bordure du Bois de Boulogne à la Fondation Louis Vuitton, magnifique édifice dessiné par l’architecte américano-canadien Frank Gehry : c’est « Basquiat x Warhol à quatre mains ». A l’opposé, à l’est tout près du périphérique, la seconde à la Philharmonie, bâtiment imaginé et dessiné par l’architecte français Jean Nouvel : c’est « Basquiat Soundtracks ». Oui, la star du printemps artistique parisien, c’est bien Jean-Michel Basquiat, Américain d’origine haïtienne, né le 22 décembre 1960 à Brooklyn, New York, et l’un des créateurs les plus hip hop de la planète. Il fut aussi une des figures essentielles de la scène artistique et « people » de New York. A peine sorti de l’adolescence, il étincelle de mille feux aussi en musique qu’en peinture. Vite, il a bousculé l’ordre établi- avec la complicité et l’amitié, entre autres, d’Andy Warhol. Fréquentant (trop assidument) les paradis artificiels, il mourra le 12 août 1988 à New York. Overdose. Il rejoindra ainsi le tristement célèbre « Forever 27 Club », où l’on trouve Brian Jones (guitariste des Rolling Stones), Jimi Hendrix, Janis Joplin, Kurt Cobain ou encore Amy Winehouse. Trente-cinq ans après sa mort, Jean-Michel Basquiat est un des artistes les plus chers du monde, avec un tableau vendu, en 2017, 110,5 millions de dollars…
« Basquiat x Warhol à quatre mains » à la Fondation Louis Vuitton
Souvent, un ami commun, le peintre et dessinateur américain Keith Haring (1958- 1990), confiait : « C’était une conversation advenant par la peinture, à la place des mots… c’étaient deux esprits fusionnant pour en créer un troisième, séparé et unique ». Et d’ajouter : « Ils pratiquaient ensemble, mangeaient ensemble, et riaient ensemble ». L’un, Andy Warhol (né le 6 août à Pittsburgh, Pennsylvanie) était blanc, catholique et un des maîtres de la pop culture et accueillait dans sa Factory des artistes de tout horizon. L’autre, Jean-Michel Basquiat (né le 22 décembre 1960 à Brooklyn, New York), était noir d’origine haïtienne, débordant de vitalité, musicien et peintre. En 1982, l’un des galeristes parmi les plus réputés de la « Grosse Pomme », Bruno Bischofberger, organise un déjeuner entre Warhol et Basquiat. A l’issue de ce déjeuner, le maître pop à la chevelure péroxydée fait un Polaroïd du jeune homme- lequel demande alors au galeriste de le prendre en photo avec Warhol. A peine l’image sortie de l’appareil, Basquiat file avec le cliché, direction son atelier. A peine deux heures plus tard, l’assistant apporte une toile encore humide, y sont représentés Warhol et Basquiat, c’est « Dos Cabezas ». Warhol, bluffé, dira simplement : « Je suis jaloux, il est bien plus rapide que moi ! »
Dès lors, va naître entre les deux hommes une amitié indéfectible. Qui va les conduire, sur les conseils et l’insistance de Bruno Bischofberger, à réaliser une œuvre commune. Pendant une longue année, entre 1984 et 1985, ils vont créer. Follement, frénétiquement, électriquement sur un rythme quasi quotidien. Le résultat ? pas moins de 160 toiles peintes à quatre mains. Et aujourd’hui, c’est une première en France, plus de la moitié de ces toiles sont présentées à Paris dans les murs de la Fondation Louis Vuitton- c’est « Basquiat x Warhol à quatre mains ». Une exposition- événement… Un jour de confidence, Basquiat s’est laissé aller à commenter cette collaboration : « Andy commençait la plupart des peintures. Il mettait quelque chose de très reconnaissable, le logo d'une marque, et d'une certaine façon je le défigurais. Ensuite, j'essayais de le faire revenir, je voulais qu'il peigne encore ». Propos complétés par Andy Warhol : « Je dessine d’abord, et ensuite je peins comme Jean-Michel. Je pense que les peintures que nous faisons ensemble sont meilleures quand on ne sait pas qui a fait quoi… » De cette amitié emplie de fulgurances, surgiront des œuvres capitales, telle cette sculpture monumentale « Ten Punching Bags (Last Supper) », telle la toile de 10 mètres « African Mask ».
Dans le magnifique catalogue de l’exposition dirigé par Dieter Bucchart et Anna Karina Hofbauer, on lit : « Basquiat admire Warhol comme un aîné, un personnage clé du monde de l'art, initiateur d'un langage inédit et d'un rapport original à la culture populaire. En retour, Warhol trouve chez Basquiat un intérêt renouvelé pour la peinture. Avec lui, il se remet à peindre manuellement, à très grande échelle. Les sujets de Warhol (titres de presse, logos de General Electric, de la Paramount, des Jeux Olympiques) servent de structure à de véritables séries qui scandent le parcours ». Finalement, une œuvre à quatre mains, c’est tout simple, même si, honte à elle, une plume médisante dans le « New York Times » réduisit Basquiat au rôle de « mascotte » de Warhol…
« Basquiat Soundtracks » à la Philharmonie
Dans l’atelier du jeune peintre, de la musique, encore et encore. Et toujours. Il peint avec frénésie, il écoute avec bonheur la no wave, la cold wave, Madonna avec qui il a flirté, Debbie Harry la chanteuse de Blondie à qui il a vendu des T-Shirts et aussi des tableaux, des grandes compositions de la musique classique, du reggae, du jazz, Duke Ellington, Miles Davis… et aussi, et surtout Charlie Parker. Son maître en musique, le génie du saxophone mort d’abus de drogues en 1955, à 34 ans. Jean-Michel Basquiat ne peint pas seulement, il est membre d’un groupe expérimental nommé Gray- il en est le leader non parce qu’il est brillant musicien ou clarinettiste autodidacte inspiré mais parce que, selon l’un des membres, le batteur Michael Holman, « nous formions un groupe où personne ne pouvait être musicien. Chacun devait appréhender le son et les instruments selon une perspective innocente, pour aborder la musique avec ignorance ». Et Basquiat, de préciser : « Nous étions portés sur le bruit. J’étais inspiré par les suites expérimentales de John Cage. Je jouais de la guitare avec une lime à métaux. C’était de la musique sans en être. Lacunaire, abrasive, étrangement belle ».
Ce printemps-été 2023, près de trente-cinq ans après sa disparition, la Philharmonie de Paris présente une exposition aux allures de B.O. de la vie de Jean-Michel Basquiat. Vincent Bessières, un des commissaires de l’exposition et co-directeur de l’impeccable catalogue « Basquiat Soundtracks » : « Pour lui, les jazzmen sont des espèces de grands ancêtres ». Ainsi, il placera la figure noire de Charlie « Bird » Parker dans ses toiles (dont la célébrissime « King Zulu », 1986)- sa façon de provoquer également la très blanche et conservatrice histoire de l’art. Sur les murs de la Philharmonie, de nombreuses pièces signées Basquiat- dont quelques raretés, telle cette affiche de concert qu’il a dessinée à 15 ans et signée « Jean Basquiat », telle cette pochette pour un titre qu’il a produit pour son ami rappeur Rammellzee. Ou encore ce mur de Polaroid signés Maripol, styliste, photographe et amie sur lesquels figurent Basquiat et Madonna. La déambulation dans la Philharmonie est enveloppée d’installations sonores, qui vont de Mozart à Sugarhill Gang, ce groupe américain de hip hop, genre Rap East Coast… « Même dans sa peinture, il a une logique de sampling, commente Vincent Bessières. Il collait et assemblait ses photocopies dessinées dans ses toiles comme un DJ mixe des vinyles ». Un DJ qu’il fut au CBGB, club de New York considéré dans les années 1970 comme le « temple du rock underground new-yorkais ». Le 12 août 1988, jour de sa mort, Jean-Michel Basquiat devait assister aux concerts des groupes de rap Run-DMC et Public Enemy. Décidément, la vie est SAMO, la signature qu’il utilisait à ses débuts sur ses graffitis sur les murs de New York et qui signifiait : « Same Old Shit » (en VF : toujours la même merde). En quelque sorte, la signature du désespoir…
DEUX EXPOSITIONS, DEUX LIVRES…
A voir
-« Basquiat x Warhol à quatre mains ». Fondation Louis Vuitton, 8 avenue du Mahatma Gandhi 75116 Paris. www.fondationlouisvuitton.fr
Jusqu’au 28 août 2023.
Du lundi au jeudi, samedi et dimanche, 10h- 20h ; vendredi, 11h- 23h.
Tarifs : 16 €. Réduit : 10 €. Adolescents (-18 ans), artistes et demandeurs d’emploi : 5 €. Gratuit pour les -3 ans et les personnes handicapées.
-« Basquiat Soundtracks ». Philharmonie de Paris, 221 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris. https://philharmoniedeparis.fr
Jusqu’au 30 juillet 2023.
Du mardi au jeudi, 12h- 18h ; vendredi, 12h- 20h ; samedi et dimanche, 10h-20h. Jusqu’au 30 juillet 2023.
Tarifs : 14 €. De 26 à 28 ans : 8 €. De 16 à 25 ans : 8 €. Gratuit pour les -16 ans.
A lire
-« Basquiat x Warhol à quatre mains ». Direction d’ouvrage : Dieter Bucchart et Anna Karina Hofbauer. Gallimard- Fondation Louis Vuitton, 328 pages, 49 €.
-« Basquiat Soundtracks ». Sous la direction de Vincent Besnières, Dieter Dieter Buchhart et Mary-Dailey Desmarais. Gallimard- Philharmonie de Paris, 288 pages, 39 €.
Et en BD:
Basquiat : un biopic dessiné, reflet pertinent d’un artiste tourmenté