« Frida Kahlo, au-delà des apparences » : une image comme un tableau…
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.com / Au bout du chemin de la vie, des mots pour confession : « Tellement absurde et éphémère est notre passage dans ce monde, que la seule chose qui me rassure c'est la conscience d'avoir été authentique. D’être la personne la plus ressemblante à moi-même que j'aurais pu imaginer ».
Des mots de Magdalena Frida Carmen Kahlo Calderón, simplement appelée Frida Kahlo, artiste peintre mexicaine, née le 6 juillet 1907 dans une démarcation territoriale de l'actuelle entité fédérative de Mexico, la délégation de Coyoacán, et morte au même endroit le 13 juillet 1954. Enfant puis adolescente, elle souhaitait devenir médecin ; à 18 ans, elle commence la peinture après un terrible accident de tramway qui lui laissera la colonne vertébrale brisée et le corps fracturé. Près de soixante-dix ans après sa disparition, elle est considérée comme l'une des artistes mexicaines les plus importantes de son siècle, elle dont la vie n’a été que souffrance et solitude. Elle dont, le 16 novembre 2021 chez Sotheby’s à New York, un de ses tableaux, « Diego y yo », a été acheté pour un collectionneur argentin pour 34,9 millions de dollars (environ 35,25 millions d’euros)- ce qui en fait l'œuvre d'art latino-américaine la plus chère vendue aux enchères…
Et jusqu’à la fin de l’hiver prochain, elle a droit à une belle et grande exposition au Palais Galliera- Musée de la Mode à Paris : « Frida Kahlo, au-dela des apparences ». Oui, c’est ainsi, avec Frida, il n’a jamais fallu se fier aux apparences ! Ce que prouve l’expo parisienne en sept sections : « Je suis née ici », La Casa Azul, « Gringolandia » (comme elle surnommait les Etats-Unis qu’elle a visités la première fois en 1930), Paris, Handicap et créativité, Œuvres et tenues et, pour terminer, Frida à l’avant-garde. Au hasard des sections, sont exposées les tableaux de l’artiste mexicaine mais aussi des tenues et costumes, des effets et objets personnels (chaussures et bottes, prothèses, corsets peints,…), « ces matériaux révélateurs d’intimité » selon Circe Henestrosa, conceptrice et commissaire de l'exposition, et qui avaient été mis sous scellés à sa mort par son mari et artiste Diego Rivera- ils s’étaient mariés en 1929, ont divorcé en 1939 puis se sont remariés à San Francisco en 1940…
Avant même ses œuvres, tableaux et dessins, Frida Kahlo c’est d’abord une image. Qu’elle a savamment dessinée- comme le rappelle l’exposition parisienne. Une image entretenue par « Frida », le film de Julie Taymor en 2002 avec Salma Hayek dans le rôle-titre. Frida Kahlo, c’est une brune incandescente, des jupons multicolores, une double tresse nouée de rubans, un mono-sourcil de légende et une ombre de moustache assumée. Avec « Frida Kahlo, au-delà des apparences », « on parle de mode et de handicap, de mode et d’identité, de mode et d’ethnicité, de mode et de politique, de mode et de fluidité des genres », ajoute Circe Henestrosa. De son côté, Gannit Ankori- directrice du Rose Art Museum à Boston et conseillère curatoriale, explique : « Frida, peintre qui n’a eu que deux expositions personnelles dans toute sa vie, a construit son image comme un tableau. Successivement, elle a posé, s’est composée, s’est exposée ». Il y a les autoportraits, les tableaux aussi où figure Diego Rivera, son mari, ogre érotomane et pygmalion à certaines heures… Il y a aussi, et surtout, les tenues (normal, on est au Musée de la Mode !), le vêtement qui tient avant tout de paravent et de faire-valoir, toujours étincelants et éblouissants. Encore Circe Henestrosa : « Il devient un artifice dès ses 6 ans, lorsque, souffrant de poliomyélite, elle superpose plusieurs chaussettes sur son pied droit atrophié par la maladie. Elle commence à porter des jupes longues pour couvrir sa jambe trop courte. Et choisit parmi toutes les robes traditionnelles la tenue tehuana que sa mère portait déjà , et qui est l’emblème de la société matriarcale d’Oaxaca, où les femmes indigènes administrent le commerce et l’économie. Elle défend son identité mexicaine quand la mode de l’époque était celle de Paris et de Hollywood »…
Femme d’engagement, communiste revendiquée, elle sera l’amie du couple Léon Trotski et Natalia Sedova qu’elle accueillera lors de sa venue au Mexique. Sortant du Musée de la Mode, on pense alors aux mots de Hayden Herrera, l’auteure de l’indispensable biographie « Frida Kahlo » : « Elle ne fut qu’un des nombreux artisans de son propre mythe, et si celui-ci est truffé de dérapages, d’ambiguïtés et de contradictions, c’est parce que l’artiste était marquée par une complexité dont elle avait une conscience aiguë »…
A voir
-« Frida Kahlo, au-delà des apparences ». Exposition jusqu’au 5 mars 2023. Palais Galliera- Musée de la Mode, 10 avenue Pierre 1er de Serbie, Paris 16ème.
Horaires : du mardi au dimanche de 10h à 18h ; n nocturne les jeudis et vendredis jusqu’à 21h.
Tarifs : 15€, tarif réduit 13€. Gratuit pour les moins de 18 ans.
www.palaisgalliera.paris.fr
Trois livres indispensables
-« Viva Frida » de Gérard de Cortanze (Albin Michel, 514 pages, 22,90 €)
Ecrivain, essayiste et dramaturge de belle réputation (plus de 90 livres à son actif !), Gérard de Cortanze n’a jamais manqué une occasion pour évoquer sa passion pour la peintre mexicaine. Normal donc qu’il lui consacre une « biographie » amoureuse et enthousiaste, simplement titrée « Viva Frida ». Dans ces pages, l’auteur tente de faire un pas de côté pour aborder Frida Kahlo- pas question de répéter une énième fois ce qui a déjà été écrit. Ou alors, l’écrire différemment. Ainsi, Cortanze a puisé dans le journal de la peintre et aussi dans sa correspondance, la légende de ses tableaux ou encore ses entretiens avec la presse. Et au final, on a « Viva Frida », le beau portrait d’une femme délicatement plurielle, follement inspirante.
-« Une passion mélancolique selon Frida Kahlo » de Christine Frérot (Ateliers Henri Dougier, 128 pages, 12,90 €)
Dans la passionnante collection « Le roman d’un chef-d’œuvre », un texte indispensable : « Une passion mélancolique selon Frida Kahlo » de Christine Frérot, docteur en histoire de l’art et spécialiste du Mexique. Respectant le principe de la collection, l’auteure a mêlé récit romanesque et enquête historique pour raconter l’histoire d’un tableau célèbre, « L’Etreinte d’amour de l’univers, la terre (Mexique), moi, Diego et monsieur Xólotl », datant de 1949. Au fil des 130 pages de cette « passion mélancolique », Christine Frérot prend Diego Rivera pour narrateur. Il raconte « sa » Frida ». Son passé, ses douleurs, son engagement politique, leur admiration réciproque pour leurs œuvres… et surtout leur amour aussi fou qu’indestructible…
-« Frida Kahlo » de Hayden Herrera (Flammarion, 608 pages, 26 €)
Américaine et historienne, Hayden Herrera est tenue pour l’une des meilleurs spécialistes mondiales de la peinture latino-américaine. En 1983, elle publiait outre-Atlantique la biographie de Frida Kahlo- le texte paraissait en VF trente ans plus tard puis est réédité, cette année. Dans les pages de « Frida Kahlo », d’une écriture maîtrisée et inspirée, l’auteure conte une peintre chatoyante (et pas seulement par ses costumes !) au langage volontiers effronté. « Mais elle est aussi sensible, abîmée et malade », précise Hayden Herrera qui ne manque de rappeler que Frida, qu’on nomme seulement par son prénom encore soixante-huit ans après sa mort, ne fut pas seulement une immense artiste-peintre mais aussi l’amie de Nelson Rockfeller, du surréaliste André Breton (qu’elle traita dans une lettre de « vieux cafard ») ou encore du couple Trotski. Et aussi l’épouse de « l’ogre » Diego Rivera. LA grande et indispensable biographie.