Entre les vignes : les raisins de la misère et un savoir-faire fabuleux
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ « Vendanges », documentaire de Paul Lacoste, met en scène un groupe d’une vingtaine de vendangeurs dans le sud de la France. Dit comme ça, ça parait cool… Les vendanges, ça laisse rêveur. On repense à son premier boulot d’étudiant ou un passage de « Sur la route » de Jack Kerouac. Ils sont jeunes, beaux, ils vont s’aimer en batifolant dans les vignes… En 2016, la réalité est toute autre. Jeunes et moins jeunes ont tous des contrats précaires en tant que saisonniers. Et il y a de plus en plus de « pas jeunes du tout »…
Pendant les vendanges, ils portent de lourdes charges, subissent des vagues de chaleur, souffrent d'ampoules provoquées par les sécateurs et connaissent des amitiés de courte durée. Paul Lacoste le montre bien en axant son film davantage sur les images (de Yvan Quehec) et le son (du vent, de la nature, des ustensiles pour travailler) que sur les paroles échangées. Car finalement, ils ne se parlent pas tant que ça, ils tentent de communiquer par des vannes et des gestes (jets de raisin), comme des enfants, mais on sent que tous et toutes sont murés dans leurs difficultés à vivre. Les visages sont graves.
L’originalité, tout autant que la force de « Vendanges » est d’aborder à travers ce temps particulier que sont les vendanges la question du travail précaire. Oh ! combien d’actualité. Dans un jadis pas si lointain, les vendanges étaient l’occasion pour des travailleurs venus de pays plus ou moins lointains (des « journaliers ») de trouver dans les régions françaises, terres de vignobles ou d’arbres fruitiers, un job saisonnier qui, même s’il était physiquement éprouvant, offrait toujours mieux que le rien du tout de leurs terres natales. C’était aussi un travail qui se faisait en famille… Aujourd’hui, le travail est toujours saisonnier, mais les travailleurs viennent en voisins, ou parfois de loin. Ce sont des femmes (de plus en plus, séparées), hommes, jeunes et moins jeunes, retraités, étudiants, licenciés, chômeurs, et sont devenus les nouveaux visages du monde du travail, là où la précarité vaut toujours mieux que le rien du tout ou les miettes que leur propose la société. Ce n’est plus pour le fun et l’argent de poche mais pour manger, payer le loyer, gagner des heures pour les indemnités chômage. Ici nous sommes dans le Sud de la France, du côté du Tarn, pas loin de Gaillac, sur la route de Cordes : une singulière communauté va se créer sous l’œil de la caméra sensible de Paul Lacoste. Un échantillon d’humanité hétéroclite qui va devoir vivre, ramasser, tailler et suer ensemble sous un même soleil de plomb, sous une même pluie glaçante. Le nouveau « Peuple de l’abîme », comme l’a écrit Jack London. Le peuple d’en bas, qu’on n’écoute pas, ou plus.
Au début du film, on pourrait croire qu’on va se faire suer : des plans fixes de la nature, le vent, des gens… Puis on s’attache aux personnages : la paresseuse qui préfère sa cité de béton, le philosophe souriant très solitaire en fait, l’anti-syndicat qui s’est pourtant fait licencié de son usine de pneus comme un malpropre, le beau mâle père de famille et puis ces femmes seules, très seules. On sent que Paul Lacoste les aime. Il est bienveillant sans en rajouter. Tout est là , sous nos yeux. Comprenne qui pourra… ou voudra. Dans un savant montage, où la parole des hommes laisse place à la beauté rugueuse des paysages et des gestes, chacun en dira un peu sur sa propre histoire, sur les choix assumés ou les situations subies, sur son rapport au monde « du travail » précaire. Le propriétaire du vignoble est plutôt sympa. Certains de ses collègues font appel aux machines. Lui tient à ce que le travail soit bien fait. Voilà un documentaire sobre et joliment filmé, qui évoque la beauté et la rudesse du travail agricole. Mais aussi un savoir-faire à la française. Un mode de vie rattrapée par la mondialisation et la prétendue flexibilité qui n’est autre qu’une nouvelle forme de servage, d’esclavage moderne où l’être humain est considéré comme un objet interchangeable et corvéable à merci.
Plus léger, le beau livre titré « Entre les vignes : conversations libres avec des vigneronnes & vignerons de Bourgogne », de Guillaume Laroche, Frédéric Henry et Harry Annoni, préfacé par le cinéaste Cédric Klapisch, qui a découvert le vin grâce à son père : « On retrouve le travail d’une vie dans un verre de vin ». Ce dernier ne buvait que du Bourgogne. Il est question ici « d’interroger la bouche ». Pour le titre de son dernier film : « Le vin et le vent », Cédric Klapisch s’est inspiré d’une phrase de la Bible : « On ne transmet que deux choses à ses enfants, des racines et des ailes. » La terre, la culture mais aussi l’immatériel, les valeurs. Réaliser un film sur le vin c’est traiter du temps qui passe et de la tradition, de la transmission. In vino humanitas… Le livre, superbement illustré donne la parole à une quinzaine de passionnés qui s’expriment sur leurs choix et leurs méthodes de travail. Voici un livre pour les amoureux du vin mais aussi pour ceux qui aiment découvrir des artisans qui prônent la qualité avant la quantité. Ce qui en Bourgogne tombe bien parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement…
Vendanges (1 h 16), de Paul Lacoste, en salle le 21 septembre 2016
Image : Yvan Quehec
Entre les vignes , de Guillaume Laroche / Frédéric Henry / Harry Annoni », préface d’Eric Klapisch, 252 p, 29 €, Editions Reverse.
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