Chroniques des rivages de l’Ouest, tome 1 – Dons : de l’heroic fantasy teintée de politique et de sociologie, un récit envoûtant et poétique
- Écrit par : Sylvie Gagnère
Par Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ Les collines des Entre-Terres abritent un peuple de sorciers. D’un mot, d’un geste, ils allument un feu, guérissent une blessure, attirent les animaux. Mais ils peuvent également mutiler, corrompre, asservir, voire tuer. Chaque famille possède un Don différent, et vit dans la crainte les unes des autres. Dans cette société où le Don est héréditaire, une culture de la lignée s’est mise en place, dans laquelle chacun tente de consolider son talent en mariant ses héritiers à des détenteurs du même don, qui se renforce ainsi.
Dans ce roman, nous suivons l’histoire d’Orrec, qui a la capacité de « défaire », c’est-à-dire détruire, les choses, les gens, d’un regard. Son père attend de lui qu’il l’exprime. Mais Orrec ne le maîtrise pas et a horreur de ce qu’il pourrait en faire ; il décide de s’aveugler volontairement pour ne pas risquer de tuer ceux qu’il aime.
Si l’on est ici dans un pur récit d’heroic fantasy, l’autrice s’extrait des codes du genre – pas de grandes batailles, pas de pouvoirs grandiloquents qui changent le cours de la narration. Elle choisit de rester au ras de ses personnages, de leur passage de l’adolescence à l’âge adulte, de leur quête d’identité, de la difficulté de décevoir son père, de remettre en cause un système dans lequel on a grandi et qui baigne toute la culture. Orrec devra prendre des décisions, en compagnie de Gry (qui possède le don de s’adresser aux animaux, mais refuse de s’en servir pour que les chasseurs tuent plus facilement). Doivent-ils faire fi des lois des clans et affirmer leurs propres choix, ou se couler dans le moule établi pour eux ?
L’important dans cette histoire, ce ne sont pas les péripéties, l’action, une intrigue. C’est le cheminement de ces ados qui occupe toute la place, leurs réflexions, leurs questionnements. L’écriture fluide et très imagée d’Ursula K. Le Guin s’attarde à décrire ce monde, au travers de personnages forts – le père, chef de clan, pour qui la sauvegarde du don et des siens prime sur tout, la mère, venue d’un village du sud, aux traditions si différentes, et bien sûr Orrec et Gry. Elle parvient à merveille à nous faire ressentir leurs interrogations, la dureté des choix qu’ils doivent faire. Avec son style contemplatif, elle nous entraîne dans un récit sans trop de tensions ou d’intrigue, mais dont la force des réflexions politiques, sociétales, voire philosophiques, vient nous percuter en plein cœur. Ursula K. Le Guin glisse aussi un bel hommage à l’écriture, source de liberté pour soi et pour autrui.
La fin, très ouverte, appelle une suite, et cela tombe bien : Dons est le premier de trois romans indépendants, situés dans le même univers, ainsi qu’Ursula K. Le Guin se plaît à le faire. On retrouvera dans le second volume, Voix, les jeunes Orrec et Gry.
Ces chroniques des rivages de l’Ouest sont une trilogie pour la jeunesse, qui ne sacrifie ni le fond ni la forme et s’apprécie également par les adultes, grâce à la profondeur des thèmes abordés, la force de ses protagonistes, et l’écriture remarquable de l’autrice.
Chroniques des rivages de l’Ouest, tome 1 – Dons
Autrice : Ursula K. Le Guin
Éditions : Atalante
Collection : La Dentelle du Cygne
Date de sortie : 23 mai 2024
Prix : 17,50 €