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Cinq chemins de pardon : cinq récits pour un puissant roman humaniste

  • Écrit par : Sylvie Gagnère

cheminsPar Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ L’Ékumen est une ligue humaniste qui regroupe les civilisations de la diaspora, à la condition qu’elles respectent certaines valeurs.

Parmi les mondes qui souhaitent la rejoindre figurent Werel et Yeowe. Sur Werel, la société est divisée entre propriétaires et « mobiliers Â» (les esclaves). Yeowe est sa colonie, que quatre corporations pillent et saccagent grâce à l’esclavage. Ces cultures sont profondément ségrégationnistes, une ségrégation basée sur la couleur de peau, et fondamentalement capitaliste et misogyne. Ursula K. Le Guin s’est amusée à créer un monde esclavagiste où les dominants ont la peau sombre, et les esclaves, la peau claire. Elle invente des sociétés très élaborées et cohérentes, dotées d’une véritable histoire. Pour les lecteurs les plus curieux, elle fournit en appendices moult détails sur les religions, les coutumes, les rapports sociaux, les hiérarchies.

Les cinq récits qui composent cet ouvrage se répondent, à travers les destins croisés de femmes et d’hommes qui tracent leur chemin vers la liberté, le pardon, en apprenant à se connaître et à s’accepter. L’autrice s’attache à des personnages profondément humains, complexes, tant dans leurs sentiments que dans leurs actes, issus de leur histoire, de leur culture, de leur passé, mais qui évoluent au fil des découvertes et des rencontres.

Nous commençons par Trahisons, qui se déroule sur Yeowe, peu de temps après la révolution et la guerre de Trente Ans, qui ont chassé de la planète propriétaires et corporations. Yoss, la vieille femme narratrice de ce texte, s’est retirée dans les marais, afin de trouver dans le silence l’oubli de la guerre et du départ de ses enfants. Elle a pour plus proche voisin un ex-leader révolutionnaire, déchu pour avoir trahi la Révolution. Lorsqu’il tombe gravement malade, Yoss le soigne. Ces deux êtres brisés vont apprendre à se connaître et, ce faisant, entrer en convalescence, du corps et de l’âme. C’est par ce texte qui évoque comme en filigrane le contexte social et politique de Yeowe que nous pénétrons dans l’histoire de la planète, comme une manière de dire, en n’invoquant qu’en biais les blessures et l’enfer de cette société.

Avec Jour de pardon, l’autrice propose un nouveau duo de protagonistes. L’une, Solly, est une envoyée de l’Ékumen, révoltée par le système d’esclavage en vigueur sur Werel et par le machisme et le mépris des dirigeants de cette planète. L’autre, Teyeo, un garde du corps que lui affecte le gouvernement de Voe Deo, la puissance dominante de Werel. Elle n’éprouve que mépris pour cet homme rigide et renfermé, mépris qu’il retourne à cette femme trop libre. Lorsqu’ils sont pris en otage, ils vont pourtant apprendre à se connaître et la douloureuse histoire de Teyeo s’avère bouleversante.

Dans Un homme du peuple, nous suivons Havzhiva, un natif de Hain, qui a rompu tout lien avec sa communauté et ses traditions pour entrer à l’école de l’Ékumen. Là, il a étudié l’histoire et à utiliser son prisme et son recul pour analyser une culture étrangère. Il débarque sur Yeowe, où la révolution a mis fin à l’esclavage, mais pas au sexisme. L’autrice démontre le rôle de l’éducation pour (re)construire un avenir, apprendre à confronter sa vérité à celle de l’autre…

Libération d’une femme c’est l’histoire de Rakam, une femme-liée d’un grand domaine de Werel qui est notre guide pour pénétrer au cœur du système esclavagiste, où une femme est encore plus esclave qu’un homme, soumise aux désirs brutaux des maîtres. Ursula K. Le Guin ne nous épargne rien des souffrances et des horreurs endurées par la jeune femme. Lorsque Rakam parvient à faire reconnaître son affranchissement et à émigrer sur Yeowe, juste libérée, mais elle s’aperçoit que, là encore, être une femme, et une immigrante, n’aide pas à être reconnue et traitée dignement. Ici encore, l’éducation et le savoir seront les clés de son avenir, avec l’acceptation du passé. Un texte formidable, d’humanité, de douleur, de résilience et d’émotion.

L’ouvrage se conclut avec Musique ancienne et les femmes-esclaves, une émouvante nouvelle où l’on retrouve Havzhiva, installé sur Yeowe, que gouverne le mouvement de Libération. Allié des anciens esclaves, il met tout en œuvre pour aider les ex femmes-liées à s’intégrer à la vie sociale et politique. En plaçant son personnage en position de faiblesse, lorsqu’il est traité en esclave au cours de la guerre civile qui s’est déclenchée sur Yeowe, Ursula K. Le Guin explore les sentiments de honte, d’humiliation, d’impuissance qui s’emparent de lui.

L’ensemble de ces textes compose une mosaïque qui dénonce l’absurdité des croyances en la supériorité d’une race sur une autre, la folie du capitalisme qui conduit à la pratique de l’esclavage, la stupidité de la misogynie qui prive une société de la moitié de son intelligence et de ses qualités. Ursula K. Le Guin, avec son écriture sensible et brutale à la fois, donne chair à ses personnages et construit un monde vraiment original, qui s’inscrit dans son œuvre globale autour de l’Ékumen.

Cinq chemins de pardon 
Autrice : Ursula K. Le Guin
Éditions : l’Atalante
Collection : La Dentelle du Cygne
Date de sortie : 23 février 2023
Prix : 22,50 â‚¬

 

 


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