Les chants de Nüying : ambitieux, original, subtil, profondément humain, porté par une plume subtile, un roman magnifique !
- Écrit par : Sylvie Gagnère
Par Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ Un milliardaire organise et finance une expédition sans retour vers une très lointaine planète (24 années-lumière de la Terre). Nüying possède de multiples points communs avec la Terre d’il y a trois milliards d’années : de l’eau à l’état liquide en quantité, une activité volcanique intense, une atmosphère dense – même si elle est impropre à la vie humaine –, des fonds marins qui comportent de nombreuses sources hydrothermales. La sonde Mariner a transmis des enregistrements sonores, qui évoquent ceux des grands mammifères marins. Les humains se prennent à rêver d’un premier contact.
Brume a entendu ces chants quand elle était enfant. Elle est devenue bioacousticienne pour aller là-bas, sur cette planète lointaine, comprendre ce qui, ou qui, produit ces sons.
Commençons par une précision : volontairement ou non, la 4ème de couv’ induit le lecteur en erreur, ou tout du moins, l’amène à penser (espérer ?) que ce roman est essentiellement l’histoire d’un premier contact avec une civilisation extra-terrestre. On s’attend donc à suivre l’expédition, puis la rencontre. Mais c’est loin d’être le cas. La préparation du départ couvre un tiers du livre, le voyage lui-même un autre tiers, enfin l’atterrissage sur la planète et sa découverte constitue la dernière partie, jusqu’à un final qui laisse libre court à l’imagination du lecteur. C’est un peu déstabilisant, mais les thèmes abordés, transhumanisme, écologie, liens familiaux et culturels, le sont avec une telle maîtrise que l’on se retrouve embarqués dans ce récit d’une ampleur et d’une profondeur remarquable.
L’autrice nous emmène dans un futur pas si lointain, mais que l’on découvre sensiblement différent de ce qu’on imaginerait le plus volontiers : c’est la culture asiatique et non occidentale qui imprègne le monde, modifiant subtilement le rapport à la science, à la technologie, à la religion. L’intelligence et la finesse de l’écriture dessinent un univers où tout est changé, et en même temps, semblable. Les aspects techniques et scientifiques sont bien développés, avec une fluidité qui offre au lecteur, même novice en sciences, la capacité de comprendre toutes les avancées présentées. La possibilité de transférer la conscience d’un homme dans un autre corps est explorée en posant les enjeux, les risques et l’attrait d’une telle possibilité. Le côté religieux est également bien présent, avec une passionnante réflexion sur les dérives sectaires de croyances dévoyées.
Le récit est porté par des personnages forts, de Brume, qui a sacrifié et sacrifie tout à son rêve, à Dana et Meriem, qui surmontent ensemble les épreuves, de William, le cybernéticien amoureux à Jonathan, le milliardaire qui accepte d’être le cobaye d’une expérience extrême et rêve d’immortalité, de Sonam Tsering, gourou bouddhiste Tibétain à Anouk, la fille de Dana et Meriem, éprise d’absolu. Chacun d’entre eux évolue tout au long de ce périple incroyable, dans l’espace, bien sûr, mais aussi et surtout au cœur de l’humanité. Parce que c’est finalement l’humain qui est au centre de cette aventure, avec ses désirs, ses aspirations, son amour, sa tendresse, sa violence. Ce sont les personnages qui nous immergent dans les thèmes développés par Émilie Querbalec, eux qui nous emmènent dans ce voyage merveilleux et dur, au bout duquel, enfin, Brume découvrira une réponse à ses questions.
Le final du roman, sujet à interprétation, surprendra sans doute, mais il est finalement dans la droite ligne de ce récit, tout en subtilités, en interrogations, en réflexions, en humanité…
Les chants de Nüying
Autrice : Émilie Querbalec
Éditions : Albin Michel Imaginaire
Parution : 1er septembre 2022
Prix : 22,90 €