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Ring shout – cantique rituel : un récit bouleversant, intense, puissamment évocateur, servi par une langue d’une rare inventivité

  • Écrit par : Sylvie Gagnère

ring shoutPar Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ En 1915, le film Naissance d’une nation a littéralement ensorcelé l’Amérique et gonflé les rangs du Ku Klux Klan. Partout, ces encapuchonnés sèment la terreur et se déchaînent sur les anciens esclaves.

Macon, Géorgie, 1922. On découvre qu’au milieu des hommes du Klan se trouvent également des Ku Kluxes, des démons formidables venus envahir notre monde.

Face à eux se dressent Maryse Boudreaux et ses acolytes : Sadie, l’as de la Winchester, et Chef, une Harlem Hellfighter. Les trois Afro-Américaines ont été appelées par Nana Jean, une vieille femme de la communauté des Gullah Geechee, qui a réuni autour d’elle un groupe hétéroclite de résistants pour combattre les monstres. Fusils, bombes, mais également épée chargée d’une magie ancestrale, elles utilisent toutes les armes à leur disposition pour lutter. Elles découvrent cependant qu’un complot effroyable se trame à Macon, qui pourrait bien signifier la victoire des forces du Mal.

L’idée à la base de ce court roman est tout simplement formidable : prendre au pied de la lettre la monstruosité du KKK, en imaginant que ces hommes ont ouvert la porte à des êtres surnaturels qui se nourrissent de leur haine, et les transforment irrémédiablement. Le film Naissance d’une nation, profondément raciste, sert de terreau à la haine, qui devient le passage permettant aux entités maléfiques de grandir et de tenter de s’emparer du monde.

Une élue confrontée à un choix cornélien, des pouvoirs magiques, des créatures effroyables, une épée sacrée, une bataille rangée épique, des fantômes, des univers parallèles, du voyage temporel, P. Djéli Clark brasse allégrement nombre de codes de la fantasy, de la SF et de l’horreur, tendance Lovecraft, en les transposant dans l’Amérique des années 20, minée par le racisme.

Ce court roman est un véritable choc, tant le fond et la forme sont incroyables.

Le fond d’abord, qui, non content de dénoncer, s’attache à comprendre et démonter les racines du mal qui ronge l’Amérique. À travers ses héroïnes, fortes, déterminées, puissantes et émouvantes, il permet au lecteur de toucher du doigt la violence et la souffrance des Afro-Américains. Il met également en garde : même pour les meilleures raisons du monde, la haine ne mène qu’à la déchéance, et transforme irrémédiablement en monstre, peu importe que l’on soit noir ou blanc, opprimé ou oppresseur.

Le récit est historique et mythologique à la fois, jusqu’à une fin d’une grande force. C’est aussi une plongée culturelle, en immersion dans la communauté des Gullah Geechee. Ce sont des descendants d’esclaves qui occupent des terres réparties le long des régions côtières de la Caroline du Sud et de la Géorgie. Isolés géographiquement du reste du continent, ils ont développé une culture propre, cuisine, médecine traditionnelle, religion, langue et musique. La tradition Gullah a donné naissance aux Ring Shout, des chants que l’on pense à l’origine du blues. Le roman de P. Djèli Clark est aussi un hommage à ce peuple.

Sur la forme, la langue est remarquable, en ce qu’elle happe le lecteur au cœur de cette culture, grâce à la magnifique traduction de Mathilde Montier.

Entre cri de rage et vague d’espoir, Ring Shout – Cantique Rituel est un récit bouleversant, une lecture indispensable, toute en nuances, dont on ne sort pas tout à fait indemne.

Ring shout – cantique rituel
Auteur : P. Djèli Clark
Éditions : Atalante
Collection : La Dentelle du Cygne
Parution : 21 octobre 2021
Prix : 12,90 €


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