Apprendre, si par bonheur : de la SF humaniste, qui pose des questions essentielles sur l’exploration et le sens des découvertes scientifiques
- Écrit par : Sylvie Gagnère
Par Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ Ce court roman est le journal de bord d’une astronaute, Ariadne O’Neill, ingénieure de la mission Lawki 6. En compagnie de Jack, géologue, Chikondi, biologiste et Elena, environnementaliste, ils sont partis en direction de la naine rouge Zhenyi pour visiter quatre exoplanètes. Le voyage sera long (près de 80 ans, en comptant les périodes de sommeil), mais la mission doit rentrer sur Terre. Pas d’espoir de colonisation, le but est purement scientifique, avec un financement par des citoyens engagés au nom de la recherche et de l’étude de différentes formes de vie et des conditions d’apparition de celle-ci.
La narratrice raconte le quotidien du vaisseau, les relations entre les membres, leurs découvertes sur chaque planète et leurs liens avec la Terre, alors que les nouvelles de celle-ci leur parviennent au bout de quatorze ans ! Becky Chambers introduit aussi un concept original : la somaformation. Ce sont des aménagements non permanents du corps afin de l’adapter aux planètes visitées (augmentation de la masse musculaire, modification de la peau…). Le lecteur suit l’astronaute à son réveil de stase et découvre avec elle les transformations opérées pour leur prochaine destination.
L’autrice s’attache à détailler chaque planète, son environnement et les formes de vie qu’elle abrite, tout en proposant de nombreuses notions de chimie, de génétique ou encore de géologie. Mais ce n’est jamais pédant ou ennuyeux, parce que les informations données ont du sens au regard du récit.
Et surtout, Becky Chambers excelle, une nouvelle fois, à parler des relations entre ces quatre humains, qui vont se côtoyer des années durant, presque toujours enfermés, en sachant que, s’ils rentrent un jour sur Terre, ce ne sera plus celle qu’ils ont connue : leur famille, leurs ami·es auront disparu, le monde aura sans doute vécu des bouleversements politiques, climatiques, sociologiques immenses. Dans ce quasi-huis clos, les personnages évoluent et passent par une palette d’émotions formidablement décrites.
Apprendre, si par bonheur pose également la question de la place de l’humain dans l’univers, de son impact sur un écosystème (ici, d’une autre planète, mais on peut aisément transposer) qu’il étudie. Même avec la volonté de ne rien détruire, d’avoir le moins d’effet possible, il y a toujours des conséquences. Et passer autant d’années loin de la Terre implique d’accepter les changements qui ont pu s’y produire, et de reconsidérer la nature de leur mission, voire d’imaginer comment, avec les nouveaux éléments, la mener au mieux.
Même s’il s’agit d’un pur space opera, ne vous attendez pas à de l’action, des batailles ou des péripéties en pagaille. Ici, ce qui compte, c’est l’introspection, les questionnements sur la place de l’humain, qui n’est qu’une partie d’un univers qui le dépasse. Pas de position privilégiée pour lui, mais une formidable réflexion, humaniste et positive.
On pourra peut-être regretter que le concept de somaformation ne soit pas plus détaillé et utilisé, mais le format court explique les ellipses du scénario. Et là n’est sans doute pas le propos de Becky Chambers, qui s’attache surtout à la psychologie et aux relations humaines. L’excitation des nouvelles découvertes, la peur de l’inconnu, les dangers auxquels sont confrontés les astronautes, l’éloignement et les incertitudes quant au sort de la Terre sont autant d’éléments de tensions très fortes qui accrochent le lecteur de bout en bout. Et qui posent une question essentielle : quel est, quel doit être le but de l’exploration spatiale ? Sans doute la réponse tient-elle dans cette belle phrase « Nous n’avons rien satisfait que la curiosité, rien gagné que du savoir »…
Apprendre, si par bonheur
Autrice : Becky Chambers
Traductrice : Marie Surgers
Éditions : L’Atalante
Parution : 20 août 2020
Prix : 12,90 €
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