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Nos Futurs : sensibiliser, informer et proposer des articles scientifiques et des textes de fictions autour des enjeux du réchauffement climatiques, un pari réussi !

  • Écrit par : Sylvie Gagnère

Nos futursPar Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ Le GIEC (Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Évolution du Climat) produit régulièrement des rapports sur la question du changement climatique, mais ils sont peu connus, et souvent peu accessibles. L’excellente idée de cette anthologie, c’est de mettre en regard un texte de vulgarisation scientifique, qui présente l’état des connaissances actuelles, avec un récit de fiction, qui vient l’illustrer et explorer les possibles. Dix thèmes ont été sélectionnés, parmi les 17 objectifs de développement durable, retenus par l’ONU, dans le cadre de son agenda 2015/2030. Les expert·e·s et les auteurices ont travaillé ensemble sur la question choisie, par exemple « la lutte contre la faim », « l’égalité entre les sexes », consommation et production responsable »…

La double approche montre sa complémentarité dans l’analyse de la situation et dans la réflexion indispensable pour faire face aux bouleversements majeurs qui s’annoncent.

Les textes scientifiques sont plus ou moins faciles et techniques selon les auteurices. On y trouve de nombreux graphiques, schémas, références… qui permettront au lecteur passionné d’aller plus loin. Ils ont le mérite de rester plutôt abordables même si l’on possède des connaissances limitées sur le sujet. Beaucoup d’articles font à la fois un état des lieux actuels (qui fait souvent froid dans le dos) et proposent des perspectives (petites lueurs d’espoir). Les nouvelles qui suivent donnent chair à des concepts quelquefois bien abstraits.

Quant aux fictions, si l’ensemble s’avère un peu inégal et parfois trop didactique, on y trouve quelques pépites qui valent à elles seules le détour !

Commençons par Toxiques dans les prés de Claude Ecken. Une agronome, elle-même victime du réchauffement climatique, voyage dans le monde pour tenter d’aider les paysans à faire renaître des cultures dévastées par l’agriculture intensive et la modification du climat. Elle se heurte évidemment aux intérêts des grandes sociétés qui ont fait perdurer ce système. La nouvelle est particulièrement émouvante, grâce à un personnage principal attachant et puissant et à la jolie idée du parallèle entre agriculture et musique.

Sylvie Lainé signe avec Au pied du manguier une très belle nouvelle, qui interroge intelligemment les rôles assignés au genre, avec une pirouette fort réussie à propos d’écriture exclusive et de genre neutre. Elle parle avec brio du poids qui pèse sur les femmes avec l’enfantement et les responsabilités qui en découlent. Le choix de la procréation s’accompagne d’une vraie réflexion sur ses impacts écologiques et sur les dangers de la surpopulation, le tout servi par une plume subtile.

Le Conte de la pluie qui n’est pas venue, d’Estelle Faye est un coup de cœur. Une mercenaire russe est chargée d’abattre un oligarque richissime qui s’est construit un petit paradis, sauvegardant la faune et la flore, au prix du détournement d’un fleuve qui a contribué à accentuer la famine à sa porte, sur des terres laminées par le réchauffement climatique et les maladies mortelles relâchées par la fonte du permafrost. Elle énonce très finement un dilemme qu’il est bien difficile de résoudre : sacrifier le dernier territoire non-pollué au profit d’une humanité qui finira par le détruire, ou au contraire le préserver en abandonnant les quelques humains encore vivants à leur agonie ? L’autrice a l’intelligence de ne pas trancher et de laisser le lecteur se poser cette délicate question, qui peut faire écho à notre situation actuelle. L’écriture vive s’attache à ce personnage ambivalent, donne à ressentir ses questionnements et son évolution et nous pousse à nous interroger nous-mêmes.

Laurent Genefort présente, dans Home, une société où chacun est responsable de sa propre empreinte carbone par le biais d’une application, Home, qui régit chaque aspect de la vie des individus. Certains voient dans ce système une insupportable atteinte aux droits individuels. Le texte est une charge virulente et à peine déguisée contre Fox News et les promoteurs de fake news et de théories du complot en tout genre. Mais la manière de la traiter, au travers d’une opposition fine et bien analysée entre une mère et son fils, est intelligente et promeut l’évolution des consciences plutôt que l’affrontement.

Trois poneys morts de Chloé Chevalier explore un futur où chaque citoyen disposerait d’un crédit carbone limité et en interroge les limites et les avantages. Katia part en Suède chercher les cendres de son ex-compagne et se retrouve dans l’impossibilité de revenir en France, son crédit carbone étant épuisé. Elle devra rentrer à pied à travers l’Europe. La nouvelle propose une belle analyse de la folie de notre monde actuel – le coût d’un vol en avion, le manque de réflexion sur l’utilisation des moyens de transports polluants pour des activités rien moins qu’essentielles – sur ce qu’il pourrait devenir si les voyages ne pouvaient plus être que justifiés. C’est un texte poétique, qui prend son temps, au rythme de l’évolution de son personnage, qui se reconnecte petit à petit à la nature et à son incommensurable beauté.

On retrouve la patte et la plume de Catherine Dufour dans La chute de la Défense, aux accents de lutte sociale et politique indéniable. La description de ce Paris où l’on doit vivre en sous-sol pour s’abriter de la chaleur, à moins de faire partie des ultras-riches de la Défense aux habitats soigneusement climatisés, les petites touches d’étrangeté des personnages, fondent un décor que l’on souhaiterait visiter plus avant.

Jeanne A. Debats propose avec Le monde d’Aubin un univers post-apocalyptique où cohabitent, parfois difficilement, ceux qui ont choisi la vraie vie et les Pixels dont les corps dorment dans des cuves, tandis que les esprits numérisés interagissent avec les «vrais» humains. Cruel, désespérant, farouchement patriarcal, ce monde-là n’est pas enthousiasmant, surtout pour les femmes (sans surprise, hélas !) Mais Aubin fait la connaissance d’une Solitaire, un personnage fort et sans tabou qui mettra à mal ses certitudes et lui permettra de prendre conscience de son privilège de mâle. Le texte est habilement écrit - le jeu sur la langue s’avère un peu déroutant au départ mais passe très bien dès lors qu’on l’accepte, et bien rythmé. Clairement militant, il invite à la réflexion en bousculant sans ménagement le lecteur.

Enfin, le conteur Pierre Bordage clôt le recueil avec Sanctuaires dans une France post-apo où des adolescents quittent l’Île de Bordeaux à la recherche d’un des mythiques sanctuaires, où la nature a pu survivre et l’Homme construire un autre mode de vie. C’est la voie du renoncement à la surconsommation effrénée qui est prônée, pour préserver la biodiversité et la Nature. Un joli texte de facture classique, à la tonalité poétique, qui parie sur la rencontre et l’intelligence pour faire évoluer les mentalités.

Nos Futurs – Anthologie 
Anthologistes : Aline Aurias, Roland Lehoucq, Daniel Suchet et Jérôme Vincent
Éditions : ActuSF
Collection : Les Trois Souhaits
Parution : 10 juillet 2020
Prix : 19,90 €

 


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