« La bonne mère » : Ode à la cagole au superlatif
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ « Ma mère s’habille au superlatif. C’est très court, très rose, très pailleté.
Très décolleté, très échancré. Très très. Elle aime rajouter des couches et des brillances. Elle dit des petits gris-gris. » C’est ainsi que Clara décrit sa cagole de mère, « Véro », depuis qu’elle a quitté Marseille pour suivre ses études à Paris. Il fallait bien 800 km de distance pour couper le cordon ombilical avec fausse blonde envahissante. Mais pas si bête qu’elle en a l’air… puisque qu’elle a décelé tout de suite qu’entre le « girafon » - comme elle le surnomme d’emblée, parce que c’est un « grandet » longiligne -, ramené de la capitale, et sa fille unique, ça n’allait pas le faire.
En effet, malgré ses grands airs (il vient de la haute, du catho, de l’aristo bien né), il est manifeste que le brillant et ambitieux Raphaël n’aime pas sa fille autant qu’elle le vénère. Et ça, ça la vénère au plus haut point… Déjà prof, à science-Po, le girafon est dédaigneux, hypocrite, coincé comme un huitre. La caricature du parigot, tête de veau… Sans compter que sa fille semble avoir honte d’elle, de sa tchatche et de ses mauvaises manières, au point d’avoir supprimé les photos qui la présentent toute en strass et jupe léopard. Il faut dire que le blanc-bec est à l’opposé de ce qu’elle est, elle et ses copines d’enfance, dont « J », du genre à s’exclamer : « Les seules personnes à m’avoir vue sans maquillage, ils sont six pieds sous terre. »
Quant au père, chauffeur de taxi, c’est un macho d’origine italienne, qu’elle surnomme le « Napolitain », seulement jaloux de constater qu’un autre homme soit susceptible de lui enlever sa fille, voire de la toucher. Toute la première partie de ce premier roman, de Mathilda Di Matteo, est un dialogue à distance entre une mère omniprésente et sa fille unique. Elles se fuient et se blessent, sans oublier de s’aimer. Ce sont deux femmes du sud, avec tous les excès que cela peut engendrer. Véro fait tout pour être une bonne mère – d’où le titre du roman – et malgré les apparences, elle va le prouver. Car contrairement à ce qu’on pourrait croire, les cagoles marseillaises sont avant tout des femmes libres, qui s’habillent comme elles veulent, et qu’il ne faut pas chercher. Car on les trouve. Qui s’y frotte s’y pique. Et pas seulement les yeux. Gare aux oreilles. Ce sont des lionnes. Gare à celui qui osera faire du mal à sa progéniture. Surtout si c’est un girafon ultra-catho, supporter de Macron.
« La Bonne Mère » n’est pas un énième roman sur le thème du transfert de classe et du sentiment d’imposture sociale, c’est un livre féministe qui aborde la question de la domination masculine, laquelle s’appuie non seulement sur le sexisme mais le rapport de force social. Tout comme on ne quitte jamais vraiment le quartier, ou le village, où l’on a grandi (sa condition, son milieu, sa culture), il est impossible d’ effacer une enfance passée dans une ville comme Marseille (il suffit de monter dans les tours et l’accent pointu laisse place aux insultes imagées). Tout oppose la cité phocéenne, avec son soleil, la mer et ses éclats de voix. Paris est une ville speedée, grouillante et grise en comparaison.
En croyant échapper à la brutalité qui a marqué son enfance – celle de son père envers sa mère, notamment -, Clara n’a fait que produire les mêmes schémas (conjoint dominateur et violent). Ecrire ce livre fut peut-être une manière de thérapie pour l’autrice. Quoiqu’il en soit, il aborde la question de la santé mentale et des rapports de classe. Comme de la lutte pour la parité entre hommes et femmes.
Il y a cinq ans, déjà, les éditions de l’Iconoclaste publiait l’excellent « Cinq dans tes yeux » d’Hadrien Bels, qui se déroulait dans le quartier du Panier. Cette fois nous sommes aux Catalans, cette plage en début de corniche, qui appartient aux anciens, comme le rappelle Mathilda Di Matteo. Cette dernière partage désormais sa vie entre Paris et Marseille. D’un coup de TGV, en trois heures, elle peut désormais être fière d’être qui elle est, là où elle se trouve. Ni cagole ni vraiment bobo parisienne. Aucune honte à être devenue une intello issue d’un milieu populaire. C’est même une force, voire une fierté, car à défaut de se sentir à l’aise dans ces deux milieux, a priori opposés, elle peut se sentir légitime, même assise entre deux chaises.
En réalité, le vrai sujet de « La bonne mère », c’est le langage. Le style. La littérature. Car Marseille c’est un personnage au parlé unique en son genre, avec son sens de la formule, ses exagérations, son rythme, sa musicalité. Qui s’entent oralement, davantage qu’il ne s’écrit. C’est comme ça depuis Suarès, Pagnol, Giono, Izzo, mais aussi IAM (le groupe de rap), comme Jul et ses collègues en bande organisée. Le MIA, c’est un style qui pique les yeux, mais ne s’oublie pas. Et la voix d’une écrivaine, ça se distingue entre mille. En prêtant la sienne à la Bonne Mère, Mathilda Di Matteo a prouvé qu’elle en avait… du talent.
La bonne mère
Editions : L’Iconoclaste
Autrice : Mathilda Di Matteo
354 pages
Prix : 20, 90 €
Parution : 21 août 2025