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« Le bon Denis » : Marie NDiaye en quête du « père-perdu »

  • Écrit par : Serge Bressan

le bon denisPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Récemment, à la question « Qu’est-ce qui guide l’acte d’écrire ? », elle répondit : « Au-delà du plaisir, il y a la vague volonté de mettre en forme ce qui n’en a pas, de donner un sens à ce qui semble absurde, de mettre en ordre le chaos. Je fais ça depuis l’enfance, je ne peux pas faire autrement ».

A 57 ans et avec une vingtaine de livres (romans, théâtre, jeunesse), Marie NDiaye est aujourd’hui l’un des personnages les plus importants de la chose écrite francophone- certain.e.s vont même jusqu’à affirmer quasiment sûrement la plus grande écrivaine contemporaine française. Elle publie depuis 1985- elle avait tout juste 17 ans ! quand est paru « Quant au riche avenir »-, vit à Paris avec son mari écrivain après avoir habité près de Bordeaux et à Berlin en un temps où Nicolas Sarkozy présidait la France… Comme personne, elle cultive la modestie et la discrétion. Ces temps-ci, elle revient sur le devant de la scène littéraire avec un nouveau texte, « Le bon Denis », publié vingt ans après qu’« Autoportrait en vert » dans la même et impeccable collection « Traits et portraits » dirigée par Colette Fellous. Commentaire de l’écrivaine : « Ce livre est en effet un puzzle, et comme les puzzles, dans mon esprit, chaque partie devait être un fragment d'une même histoire ».
Rapidement résumé, « Le bon Denis » pourrait être présenté comme une variation sur le thème « on père, ce héros » ou « à la recherche du père ». C’est cela, et bien plus encore. Dans la première des quatre variations qui constituent ce livre, la narratrice se rend à l’Ehpad (Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) où réside sa mère : « Lorsque, après avoir longtemps hésité, pris peur, renoncé, enfin je rassemblai mes forces pour demander à ma mère, dont la lucidité peu à peu s’en allait, si elle se rappelait certaine scène encore douloureuse à mon cœur d’adulte, elle me fixa d’un œil éberlué, offensé, empli d’indignation vertueuse puis, se reprenant, me répondit doucement, comme on parle à quelqu’un de très âgé après avoir compris qu’il n’a pas tenu intentionnellement d’aussi absurdes propos, que ce que j’évoquais non seulement ne s’était pas produit, mais ne pouvait en cas s’être produit ».
Factuellement, l’affaire est relativement simple. Une femme française et un homme sénégalais « grandi sans tendresse » ont une petite fille, Marie. Le père s’en va quand l’enfant a à peine un an, la mère assure que c’est elle qui est partie pour un autre, un certain Denis. Adulte, Marie cherche, veut comprendre, tente de saisir le sens caché de cette histoire. Confidence de l’auteure : « Il est plus difficile de vivre avec la présence compliquée de quelqu'un qu'avec l'absence. En plus, je n'avais pas d'image de lui, ou pratiquement pas. Je ne le voyais pas, je ne voyais pas sa silhouette, ni ses expressions. C'est un peu comme s'il avait été mort, en fait. J'étais comme une orpheline de père ». Alors, elle retrouve donc sa mère, âgée et la mémoire défaillante, dans cet Ehpad, les deux évoquent cet homme qu’on appelle « le bon Denis » et qui se serait occupé, tel un père, de la petite Marie. Mais qui était-il ? Deuxième variation : changement de décor, une jeune femme en Beauce et un jeune homme à Dakar- les parents de Marie NDiaye. On enchaîne, troisième variation pour la quête des raisons du départ du père- sa fille le voyait en héros, il a quitté la France se sentant rejeté par ses beaux-parents et le racisme. Quatrième et ultime variation : Marie a 18 ans, elle est à Los Angeles, elle y a rendez-vous dans un hôtel luxueux avec « un père inconnu » dont elle pense qu’il en est le directeur- il n’en est rien…
Dans « Le bon Denis », à chaque page, vibrent Marie NDiaye et cette écriture millimétrée. « On y reconnaît à chaque page son visage, son sourire, sa timidité teintée d’insolence et de douceur. De liberté aussi », confie son éditeur. Mieux que personne, l’écrivaine sait proposer, pour un autoportrait, un texte kaléïdoscopique entre récit et fiction. Au fil des pages, les mots serpentent- allègrement comme ces serpentins qui, de toutes couleurs, se déroulent quand on les lance… On croyait à une histoire de père-héros, Marie NDiaye nous offre celle de père-perdu…

Le bon Denis
Auteure : Marie NDiaye
Editions : Mercure de France
Parution : 3 avril 2025
Prix : 18,50 €

Extrait

« Je me contentai de lui demander si elle savait où vivait le bon Denis.
Je l’ignore et ne veux surtout pas le savoir. Je ne suis pas bonne, moi. Les griefs et la rancœur, les ressassements et les plaintes bien inutilement remâchées, je ne m’en suis pas complètement affranchie. Denis, lui, dans son bonté rayonnante, indifférente, ne rumine jamais, j’en suis persuadée. Heureux les bienheureux ! Se souvient-il de moi ? Ou m’a-t-il, pour mon propre bien, rayée de sa mémoire ? Si vous le rencontrez, parlez-lui de moi, je vous en prie, prononcez le nom de Régine…
Je n’étais pas bonne, moi non plus ».

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