La reine des Apaches : les pirates de Paname ou la rousse au cœur balafré
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ En 1889, la première tournée de Buffalo Bill, à l’occasion de l’Exposition Universelle, enflamme Paris.
Les Apaches, ces « peaux rouges » sauvages, sanguinaires et indomptables, deviennent une figure emblématique du mythe de la conquête de l’Ouest américain, et de l’anxiété dans Paris. Des voyous – comme on dirait aujourd’hui – prennent le surnom d’Apaches, pour se caractériser. De quoi effrayer le bourgeois, quoi. Lequel, ne l’oublions pas, a largement soutenu la répression sanglante de la Commune, du 21 mai au 28 mai 1871. Près de 20 000 communards ont été exterminés par les Versaillais. Les survivants, comme Louise Michel, sont déportés au bagne de Nouvelle-Calédonie. Voilà pour le contexte historique.
C’était le décor du premier roman de Franck Chanloup, « Les Enchainés » (Au vent des îles, 2021), qui résida longtemps à Nouméa. Il revient en force avec un roman, « La reine des Apaches », aussi haletant que passionnant. Ames sensibles s’abstenir… Le Paname de 1900, dans les Faubourgs, est plus que sale et dangereux, il est visqueux, nauséabond, cruel, sans pitié. Surtout dans la « Zone », la banlieue Est de nos jours.
La soi-disant Belle Epoque, les fameuses « années folles », c’était pour le rupin cité plus haut. La grande majorité du peuple souffre de la misère, de maladies, bref de l’injustice. Une minorité refuse la nouvelle industrialisation, donc le travail à la chaîne, et se révolte, à la manière des anarchistes libertaires de la « Bande à Bonnot ». Une autre catégorie de réfractaires, sans éducation, plutôt que de se laisser exploiter au « chagrin », comme ces c… de prolos, choisit la délinquance. Ils aiment l’alcool, le tabac, le jeu, les bals musette et considèrent que celui qui travaille est un soumis. Certains sont proxénètes et mettent sur le trottoir des filles parfois plus âgées qu’eux.
Ils seraient entre 30 000 et 100 000 d’après la police, dépassée, et la presse, type « Le Petit Journal », en fait ses choux gras. Ce quotidien, qui tire à plus d’un million d’exemplaires, comme d’autres (« L’Aurore », etc) se régale de ces histoires glauques. Certains éditorialistes en rajoutent, et déplorent le laxisme de la justice et réclament la guillotine. Ils imaginent que les conditions de détention de ces délinquants sont trop clémentes. Ils prônent le fouet, comme en Angleterre. Véritable phénomène social, les « Apaches » font régner la terreur dans la capitale. Ils détroussent les bonnes gens, dévalisent les aristos, à coups de surin, pas à la Arsène Lupin. Rixes au couteau, donc, voire à coup de flingues, bagarres entre bandes, guerre de territoires...
Ce fléau existe depuis plus d’un siècle. Mais les « Apaches », c’était quelque chose ! Rien à voir avec les « Blousons Noirs », et leurs chaînes à vélo, des années 60, ou les Punks des années 70-80. Encore moins avec les réseaux de narcotrafiquants d’aujourd’hui, sans foi ni loi. D’abord, il y a la solidarité entre eux, et le code de l’honneur, la parole donnée. Auguste Le Breton, devenu écrivain, en parlait très bien : « L’amitié, la solidarité… Quand je suis tombé sur les « fortifs », à Saint Ouen, je n’avais pas de famille, pas de toit, rien. Eux, ils m’ont tendu les mains, ils m’ont donné un bout de pain, ils ont fait ce qu’ils ont pu. Si j’avais sonné à la porte d’une maison bourgeoise, ils m’auraient foutu à la porte, ils auraient appelé les flics. » (France Culture 1994).
Pour s’identifier au groupe, ils parlent un argot enrichi chaque jour de mots nouveaux, comme « la renifle », qui désigne les policiers tant exécrés. Ces gamins des rues arborent des tatouages, et un accoutrement reconnaissable : rouflaquettes, espadrilles ou chaussures luisantes, pantalons très larges, foulard rouge, casquette à pont et veston cintré. La plupart étaient des orphelins, sur le pavé, certains occupaient des « garnis » (mansardes louées à la semaine, sans eau ni chauffage). Ils avaient entre 14 et 20 ans, rarement plus, échappaient à l’école, et vivaient au jour le jour. Ils venaient de l’Est parisien, de la périphérie, près des anciennes fortifications de la ville. Fêtards et courageux, tous rejetaient la bourgeoisie, complice du Pouvoir, répétons-le, et la flicaille, à la botte du capitalisme…
L’union faisant la force, ces gamins, pour la plupart sortis de l’horrible prison de la Petite Roquette, située dans le 11e, en dessous du cimetière Père-Lachaise, ont terrorisé les rues de Paris, et donné du grain à moudre aux journalistes « fait-diversiers » et aux écrivains "qu'ils appellent « dégringoler un pante », c'est-à-dire aller attaquer des bourgeois, Régulièrement, ils font des « descentes »." Une de leurs armes favorites, c’est le coup de boule, lorsqu’ils demandent du feu, par exemple, et à ce moment-là, ils prennent la montre, le portefeuille. L’oseille.
Ils se donnent des surnoms en fonction de leur quartier : « Les moucherons », « les saute-aux-pattes de la Glacière », « les chevaliers du sac », « les Loups de la Butte » (Montmartre). C’est à eux que s’est intéressé Franck Chanloup. La plupart de ces « récalcitrants », parmi les rares survivants, seront mobilisés sur le front, en 1914. Beaucoup n’en reviendront pas. D’autres sont envoyés au bagne, cette fois en Guyane. L’auteur de « La reine des Apaches » connait évidemment l’histoire de « Casque d’or », inspirée d’une vraie querelle de deux rivaux « apaches », en 1902, qui se disputaient le cœur d’une donzelle. Lui préfère les rousses qui en ont… du pouvoir. Car c’est elle la cheffe.
Mathilde Latrouvé est une orpheline qui décide de se débiner, après treize ans d’indifférence, et de froideur des adultes. De l’orphelinat, elle a gardé son surnom « la Rouquine ». Remarquablement intelligente, la gamine, dure à cuire, se fait repérer par une catin sur le déclin, surnommée « Nini », qui la protège des marlous, avant de devenir la meneuse d’une bande d’apaches : les fameux « Loups de la Butte ». Ces voyous parigots, d’une vingtaine de membres, vivent d’arnaques et de vols, mais ils ont du panache, une morale (ils le touchent pas à la prostitution) et surtout, ils sont liés, à la vie à la mort.
Quand Mathilde tombe dans un piège, et subit le dernier des outrages, de la part de Valentin, chef d’un gang de proxénètes (les « Cravates Vertes »), allié à Basile, de la bande des « Costauds », leur sauvagerie se déchaine. La vengeance des Loups sera aussi impitoyable que violente. Quitte à plonger Paris dans le bruit et la fureur. Le problème, c’est qu’ils ont tout le monde contre eux : les bouchers de la Villette – des antisémites de la pire espèce – les poulets… Ils ne peuvent compter que sur la bande à « Carda », des gars de Charonne. Bientôt, c’est le chaos dans la ville.
Tout y est. On s’y croirait. Le parler (vrai) de l’époque (argot de « Ménilmuche »), les odeurs, couleurs, bruits, sons, décors, premières automobiles, le Lapin Agile… On est entre Zola, Dumas et Hugo, c’est dire, mâtiné de Jean Malaquais, pour ceux qui connaissent. D’ailleurs, la littérature est très présente, dans cet excellent roman de littérature populaire. Publié chez Gallimuche, il aurait un prix littéraire d’office, du genre Pierre Mac Orlan. On y croise une galerie de personnages attachants, dignes des « Trois Mousquetaires. » Et même un jeune espingouin, prénommé Pablo… qui se dit artiste-peintre. Ce Picasso fait d’horribles gribouillis sur des cornets de frites. Franck Chanloup, qui a bourlingué, ça se sent (une cinquantaine d’années passées) a su créer une galerie de personnages réalistes. Vous n’êtes pas prêt d’oublier cette bande de malandrins au cœur tendre. Notamment le « Balafré », qui reste mystérieux jusqu’au bout du récit épique. Le « Crapaud », sorte de Gavroche poulbot, Gros Louis (sosie de Porthos), et le « Rablé », un sacré « monte-en l’air »… La couverture, œuvre de Marion Tigréat, est sublime. Toute en finesse et subtilité, à l’image de ce roman tonitruant. Que dire de plus ? C’est notre coup de cœur de cette rentrée « littéreur » 2024. « Au vent des Îles » est un éditeur de Tahiti. Si ça ne vous donne pas envie de sortir des sentiers battus, on mange notre chapeau. Un livre magistral !
La reine des Apaches
Auteur : Franck Chanloup
Editions : Au vent des îles
332 pages
Parution : 4 octobre 2024
Prix : 19 €