« Avalanche » : Raphaël Haroche en version magnétique
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Un jour de 1989, ils auraient pu déambuler sur la jetée des cœurs perdus. Ils auraient pu… mais ils sont simplement dans un train qui les mène vers l’internat du Rocher, école en Suisse pour gamin.e.s de très riches.
Il y a le narrateur, une quinzaine d’années, et son petit frère, Nicolas, pianiste de dix ans aussi surdoué que fragile- leur famille n’est pas riche, ils sont boursiers… Dans les premières pages, on se dit qu’on va se retrouver dans une version ado de « Rain Man »- juste une impression parce qu’on est vite happé, transporté par « Avalanche », l’impeccable premier roman de Raphaël Haroche, auteur de deux recueils de nouvelles (« Retourner à la mer », prix Goncourt de la nouvelle 2017, et « Une éclipse », 2021) et chanteur-musicien depuis 2000 avec neuf albums (du premier : « Hôtel de l’univers », au plus récent : « Haute fidélité », 2021).
En recensant « Avalanche », certain.e.s, par paresse ou en manque d’inspiration, évoquent un roman d’apprentissage- formule passe-partout qui, à vrai dire, ne veut rien dire. Raphaël Haroche, qui avoue ne pas avoir cru « il y a cinq, six ans que je pourrais être romancier », signe le roman de la mélancolie adolescente- l’adolescence, cet âge qu’il confie avoir détesté. Il y a donc dans le train le narrateur et Nicolas- celui-ci « pose son sac sous ses jambes. Il porte un bermuda bleu marine, une chemise à manches courtes et des mocassins. J’ai porté ces chaussures moi aussi, elles ont parcouru mille fois le parquet de la maison, ses figures géométriques dans lesquelles je cherchais une signification, les rues du quartier, la poussière des squares ». Les deux arrivent à destination. L’internat du Rocher. Avec ses fils et filles de riches. Et eux deux, des pauvres, pourquoi débarquent-ils dans ce monde ? Un accident de voiture, leur mère morte, le narrateur blessé avec tympan crevé. Nicolas n’était pas dans la voiture, tout comme leur père. Ce père qui part en Amérique du sud pour affaires, croit-on comprendre, et envoie ses deux fils au Rocher…
« Avalanche », c’est donc une plongée vertigineuse dans l’adolescence. Les premières pages laissent croire et penser qu’on a là un « roman fragmenté »- à l’image de certains autres très banals parus récemment chez le même éditeur. Vite, on est rassuré : Raphaël Haroche, en maître du train du soir et des bandes magnétiques, enfle le récit. Et c’est follement emballant, empli d’une mélancolie délicatement nostalgique, d’une nostalgie tendrement mélancolique. Avec un rappel : l’adolescence est un monde sans foi ni loi. A preuve, l’attroupement dans la cour de l’internat- en son centre, un gamin est humilié par les « grands », le narrateur s’approche, s’éloigne. Le gamin, c’est Nicolas, son petit frère, c’est un bizutage, commentaire du narrateur : je ne suis pas intervenu, c’est l’apprentissage de la vie : « La fonction du bizutage, un rite de passage, comme les baptêmes ou le service militaire, quelque chose qui vous rattache à un groupe. S’en abstraire, c’est se retrancher de la communauté des hommes ».
Délicieuse galerie de portraits où l’on croise deux « gosses de riches » qui font copains- copines avec le narrateur, lui le pauvre. Il y a Stefano, « corps longiligne fait pour se déplacer dans des palais d’été », il emprunte le coupé sport familial, il fonce sur les routes en lacet, dit « Si je ralentis, je m’endors et je suis encore plus dangereux », il tire à balles réelles sur les vitres d’une usine désaffectée… Il y a Alexia, on la surnomme « la Tsarine », diablesse enchanteresse toujours de bon conseil : « Si tu veux apprendre à couper de la coke avec du verre c’est pas mal comme bahut »… Il y a aussi du sexe, de la drogue et même du rock’n’roll qui mènerait peut-être même jusqu’au « Kashmir » de Led Zeppelin, là on l’on croise Samuel Hall à qui l’on offrirait des roses Norma Jean…
Un autre personnage illumine « Avalanche ». La grand-mère des deux garçons. Magnifique babouchka, elle viendrait d’Odessa ou de Pologne, qu’importe ! Elle débarque avec « son accoutrement de romanichel, ses sacs de voyage en plastique », elle « demande un thé Earl Grey, elle prononce Earl Grey comme si elle connaissait ce bon vieux Earl en personne ». Elle parle un sabir improbable, se balade avec ses sacs en plastique, refuse d’aller manger dans un kebab et finalement accepte- mieux : juive, elle admet que dans ce « restaurant » arabe de misère, c’est bon… Le narrateur a honte de sa grand-mère, personnage furieusement romanesque, tout en l’aimant fort. Confidence de Raphaël Haroche : « Je n’ai pas voulu faire un ouvrage de sociologie. Juste raconter une histoire intime autour de ces deux frères que j’aime beaucoup. J’espère qu’ils toucheront du monde »…
Avalanche
Auteur : Raphaël Haroche
Editions : Gallimard
Parution : 12 janvier 2023
Prix : 18,50 €
Extrait
« Mère est morte, un accident de voiture, un camion arrêté sur le bas-côté, les feux éteints, une soirée ordinaire, rien d’exotique, à deux kilomètres de la maison, une route de mort au carrefour Meyrin- Croix- Rousse, je ne vois plus bien son visage, il a tendance à s’effacer. Lorsque je la revois, je me souviens de ses yeux bleu-violet et de sa tenue ce jour d’entre les jours, un pull Mickey Mouse, un sweat-shirt de gamine, une souris à quatre doigts lui a servi de linceul.
Nicolas n’était pas dans la voiture, papa non plus.
J’ai du mal à entendre d’un côté depuis l’accident, une perforation du tympan, mère a eu le coup du lapin. Je m’en suis bien sorti ».
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