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Jean-Philippe Blondel : l’homme tranquille

  • Écrit par : Guillaume Chérel

Mariages de saisonPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ L’air de rien, avec ses airs de ne pas y toucher, là-bas, dans l’Est, du côté de Troyes, Jean-Philippe Blondel, construit une Å“uvre à laquelle adhèrent de plus en plus de lecteurs qui savent qu’ils ne seront pas déçus. Il trace son sillon, comme on dit, inlassablement, faussement tranquille, car derrière ses personnages solitaires, c’est de la condition humaine dont il s’agit. La forme entière de l’humaine condition, comme dirait l’autre… C’était le cas dans « Un hiver à Paris Â», qui parait en poche, chez Pocket, court roman narrant l’histoire de Victor, professeur d’anglais – tiens, comme l’auteur – qui reçoit une lettre, laquelle le replonge en 1985, lorsqu’il était étudiant en deuxième année de prépa, à Paris. Le suicide d’un « camarade Â» de classe (provincial comme lui), qu’il connaissait à peine, avait perturbé son année scolaire à une période charnière de son existence. Celle où il décide d’écrire des romans.

 

Nous ne sommes pas vraiment dans l’autofiction mais Blondel s’inspire manifestement de sa (vraie) vie. Il s’agissait déjà d’un personnage un peu asocial qui a du mal à s’accorder aux autres. Un « régional Â» confronté aux points de vue étriqués, ou élitistes, de ses contemporains locaux ou intellos parigots. Rebelote dans son nouveau roman, « Mariages de saison Â», qui vient de paraître. Corentin (27 ans) gagne sa vie en filmant des mariages, les étés, en province… Avant, il y avait les photographes du genre, lui il est vidéaste (il rêverait de réaliser des films de cinéma). Associé à Yvan, sorte d’oncle adoptif (en fait son parrain), qui pourrait être son père (ils ont plus de vingt ans d’écart), c’est leur gagne-pain. Ils le font consciencieusement mais sans illusions. Surtout Yvan, un peu bourru, vaguement anar, alors que Corentin est volontiers contemplatif, suiveur, laxiste. Il se laisse aller au gré du vent. Il s’adapte. Yvan n’est pas du tout nostalgique des années 80, par exemple : « (…) la même merde que maintenant, point à la ligne. Â». Les deux vivotent, bon an mal an, mais Corentin, qui est le plus sensible, le plus sentimental a priori, se pose beaucoup de questions. C’est le plus psychologue des deux. Il adore ce moment intime, où la mariée, ou un intime, s’exprime face-caméra, un peu comme au confessionnal, ou sur le divan.
A partir de ce point de départ (deux vidéastes de mariage en province), Blondel réussit le tour de force d’aborder plusieurs thèmes forts, comme la question de la « téléréalité Â» (chaque marié a son heure de gloire, comme l’avait prédit Andy Warhol), mais aussi de sexisme (donc du « mariage pour tous Â»), pour ne pas dire de la remontée des extrêmes et de l’intolérance. Ainsi que la difficulté de vivre à deux. Paradoxalement, les deux vidéastes du dimanche mettent en valeur des unions alors qu’ils ne cessent de se faire larguer par des femmes qui ont en assez de leur absence chaque week-end : « Personne n’a envie de vivre avec quelqu’un qui travaille le samedi soir et le dimanche. Â» On a beau se marier beaucoup de nos jours, comme pour se rassurer en fondant une famille pour faire face à un monde violent, on se dépare encore davantage.
Jean-Philippe Blondel est toujours en empathie avec ses personnages. Il leur laisse une chance… de se rattraper. Il est bienveillant, jamais neutre. Pince-sans rire, il ausculte nos inconscients, décrypte nos comportements. La scène de la « table des exclus Â», à l’un des mariages, est bien vue. Elle compte ceux qu’on se sent obligés d’inviter, qu’on voudrait « pouvoir oublier Â», mais qu’on est bien obligés de caser. Et évidemment, c’est la table où l’on s’amuse de plus. La plus rock-and-roll, désinhibée, au point de la quitter pour aller fumer un « cône Â» dans le jardin, au grand dam des invitants outrés mais qui se prennent la tête… en famille.  
On retrouve dans « Mariages de saison Â» tout ce qui fait le sel des romans de Jean-Philippe Blondel. Les meilleurs d’entre eux nous rappellent le grand Flaubert d’un « CÅ“ur simple Â», mais aussi Raymon Carver, le minimaliste, aux Etats-Unis, ou Eric Holder, plus récemment chez nous. Des auteurs qui nous font partager leur compassion pour des « gens simples Â». Pas des exclus, non. Ni de la « France d’en bas Â» ou des petites gens… Plutôt des humbles, pétris de complexes d’infériorité. Sans prétention mais dont les blessures sont si terriblement humaines. Trop humaines… Jean-Philippe Blondel ratisse là où ça peut faire mal, mais en nous faisant du bien. On se sent meilleur après l’avoir lu.  


Auteur : Jean-Philippe Blondel
Mariages de saison , 183 p, 14 euros, Buchet-Chastel éditions.
Un hiver à Paris , 187 p, 8 euros, Pocket.


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