Paris-Briançon : quand Philippe Besson prend le train de nuit…
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / La nuit, certains mentent. Surtout quand ils prennent le train à travers la plaine. D’autres ont manqué le train à grande vitesse, et se retrouvent compagnons d’une nuit avec un médecin qui va faire l’état des lieux de la maison de sa mère, une « working girl » et son enfant, un représentant de commerce un peu beaucoup balourd, un couple de retraités qui file en week-end ou encore un groupe de jeunes. C’est « Paris-Briançon », le vingt-troisième et nouveau roman de Philippe Besson- c’est aussi l’Intercités de nuit n° 5789, départ à 20h52, arrivée le lendemain matin à 8h18. Une douzaine de personnages dont certains seront morts au lever du jour, une unité de lieu, de temps et d’action. Le roman du huis clos. Les chapitres défilent, comme le train dans la nuit. Les paysages se laissent deviner dans la noirceur nocturne. On se regarde, on se jauge et, vite, on se parle. Chacun.e trimballe ses joies, ses peines, ses amours, ses tourments et ses non-dits. La « mécanique du hasard », si chère à l’auteur, a commencé son œuvre. L’ombre de la mort flotte dans ce train, avec le retraité qui souffre d’un cancer. Amitiés et amours se seront nouées durant cette onzaine d’heures qu’aura duré le trajet Paris-Briançon. Une onzaine d’heures, le temps suffisant et nécessaire à Philippe Besson pour sonder encore et encore l’âme humaine.
Dès la deuxième page de « Paris-Briançon », vous annoncez : « Parmi eux, certains seront morts au lever du jour ». D’entrée, vous cassez le suspense…
Je voulais passer un contrat avec le lecteur. Créer tout de suite une tension qui attire l’attention. Rappeler l’urgence existentielle.
Comment vous est venu ce livre dont l’histoire se déroule dans un train de nuit ?
C’est parti de la lecture d’un article sur la réouverture de lignes de trains de nuit. Ça a relancé en moi des souvenirs de trains de nuit que j’ai empruntés dans ma jeunesse, le Paris-Briançon ou encore le Bordeaux-Vintimille. J’aime cette ambiance du train de nuit, il y a une ambiance, une promiscuité qui crée l’intimité. C’est très romanesque.
Souvent, et encore pour ce nouveau roman, vous évoquez la « mécanique du hasard »…
J’ai beaucoup écrit sur le hasard, ce hasard des rencontres et ce qu’il fabrique. Une grande part de notre vie doit beaucoup au hasard. Nous affrontons des incidents, des accidents qui nous font bifurquer, changer de trajectoire… Ainsi, dans ce train de nuit, le hasard y joue un rôle essentiel. Il réunit, au départ, des gens qui a priori n’ont rien pour se rencontrer. Et pour l’écrivain, ça permet de mélanger les personnages, avec leurs origines et leurs personnalités différentes. Dans un train de nuit, on s’en remet au hasard…
Pour ce « Paris-Briançon », vous avez opté pour un procédé littéraire qu’on trouve plus au théâtre, avec unités de lieu, de temps et d’action…
Oui, je reconnais, c’est théâtral. Mais là , dans ce train de nuit, il y a une dimension de comédie et de tragédie. On ne peut pas échapper à ce qui va se produire. Alors, pour le lecteur et pour moi l’auteur, ça crée une proximité. Peut-être parce que les personnages paraissent heureux, mais c’est une apparence, ils ont tous une blessure, un déni…
Très tôt dans le roman, vous avez annoncé que certains des personnages seront morts au lever du jour. Comment le romancier–t-il choisi ceux qui allaient mourir ?
Je tiens à préciser que, pour « Paris-Briançon » comme pour mes précédents romans, je suis très attaché à mes personnages. D’ailleurs, il vaut mieux puisqu’on passe au moins six mois ensemble, le temps de l’écriture ! Donc, oui, il m’a fallu choisir qui allait mourir. Et pour ces disparitions, j’ai opté pour l’injustice. Faire mourir les personnages auxquels on avait le plus d’empathie… Et la mort peut venir de l’insoupçonnable, de l’inenvisageable. Il y a comme une ombre qui flotte…
Après « ‘’Arrête tes mensonges’’ », vous aviez confié que plus jamais, vous n’écririez comme avant…
… et avec « Paris-Briançon », pour la première fois, j’ai écrit un roman à suspense. Un roman choral avec une douzaine de personnages, alors que jusqu’alors, mes livres tournaient autour de deux, trois personnages… A chaque roman, il me faut trouver des techniques narratives différentes et je tente des choses différentes même si je reste fidèle à ce qu’on appellerait ma « marque de fabrique » : creuser le sentiment et détecter la fragilité des êtres.
Evoquant « Paris-Briançon », des critiques parlent d’un « livre très cinématographique ». Comment réagit l’écrivain que vous êtes ? Pour vous, est-ce un compliment ?
C’est d’abord un livre. Il y a le silence de l’écriture, celui de la lecture. Mais je suppose aussi que le livre fabrique des images. En fait, ce qui m’importe, c’est que, par exemple pour « Paris-Briançon », le lecteur soit dans le train avec les personnages. Il faut que le lecteur soit actif, que sa sensibilité y ait une grande part… C’est le charme utile de l’écriture, de la lecture.
Paris-Briançon
Auteur : Philippe Besson
Editions : Julliard
Parution : 6 janvier 2022
Prix : 19 €
[bt_quote style="box" width="0"](…) elle est sortie tard du boulot et a juste eu le temps de passer en vitesse à l’appartement récupérer bagages et enfants. Tandis qu’ils remontent le couloir en direction de leur compartiment, Julia remarque deux hommes qui s’affairent dans celui qi précède le bar : le premier a des cheveux blonds, le second a l’air triste. Elle referme machinalement sa veste en faux daim, comme pour se protéger du possible désir de ces deux-là . Elle s’en veut aussitôt. Tous les hommes ne sont pas des prédateurs ou des violents.[/bt_quote]
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