Les éditions Intervalles à la trace : de Carole Zalberg, Olivier Auroy à Rouja Lazarova
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Ce n’est pas le sujet direct d’"A la trace", le nouveau livre de Carole Zalberg, par ailleurs militante du droit des Auteurs, à la SGDL (Société des Gens de Lettres), mais on y pense très fort. Ils sont des dizaines de milliers à y penser : faire leur « Alya » (retour en terre d’Israël). Depuis deux ans, plus de 7.000 juifs français sont partis. Du jamais vu depuis la création de l’État hébreu, en 1948. Les attentats des dernières semaines risquent d'aggraver ce phénomène. Au point que les autorités israéliennes s'inquiètent de voir arriver des gens non préparés, alors que l'« alya » est une démarche difficile.
Carole Zalberg a séjourné un mois à Tel Aviv, dans le cadre des missions Stendhal, missions soutenant des auteurs ayant un projet d’écriture à l’étranger. Elle retourne ainsi pour la première fois, en trente ans, dans ce pays « complexe et magnifique » pour un projet de fiction autour de ses trois cousins germains, nés en Israël, entre 1955 et 1963. Pour sa famille vivant en Israël, c’était une évidence, elle viendrait un jour s’installer « chez elle ». À travers "À la trace", journal de bord et prémices du roman, Carole Zalberg explore l’ambiguïté de son lien avec cette « terre promise ». Pourquoi envisager un exil si l’on n’éprouve pas le besoin de se mettre à l’abri d’une menace ? Sauf que ces derniers mois il y a à nouveau eu des massacres… Sauf que la « terre promise » n’est-elle pas elle-même éternellement sous la menace ? Elle interroge les malentendus d’une famille que l’exil rassemble et éloigne à la fois. Elle vient d’en lire des extraits, à la Maison de la Poésie (de Paris), en dialogue avec le pianiste et batteur Stanislas Grimbert.
Profitons de cette publication pour nous intéresser aux éditions Intervalles, créées par Armand de Saint-Sauveur, lequel publie deux autres livres en cette rentrée de janvier : "Au nom d’Alexandre", d’Olivier Auroy, et "Le muscle du silence", de l’écrivain d’origine Bulgare, Rouja Lazarova. Dans ce dernier, le Paris des années 1990 est le décor d’un amour improbable entre un psychiatre et sa jeune patiente. Pour lui, septuagénaire, survivant des camps nazis, le souvenir semble la clé de la joie de vivre. Pour elle, élevée derrière le rideau de fer, le corps est un obstacle dont il a fallu apprivoiser les limites. Cet amour passion, amour transgression, dérangeant et fascinant, cocasse parfois, jaillit comme une nécessité des débris des mémoires totalitaires. Il se développe dans la fugacité d’un présent hanté par le passé mais sans véritable avenir. Car la maladie fait son apparition, telle une tierce personne qui s’infiltre dans la relation. Les deux amants pourront-ils s’aimer dans, plutôt que contre elle ? Telle une recherche sur Internet, le roman s’organise autour de mots clefs comme la « peur », le « désir » ou le « pouvoir ». Chacun de ces mots se fait l’écho d’une expérience intime de la vie des protagonistes, bouleversée par les totalitarismes, et qui se trouve revisitée par la parole, par le désir ou le souvenir dans le Paris indolent de la fin du XXe siècle. Plutôt que de traiter de la vie sous les totalitarismes, nazisme ou communisme, le roman de Rouja Lazarova traite de la vie d’après. Il pose la question de la survie, des séquelles ou des déficits de la mémoire. Dans une langue sobre, précise, délicate, souvent empreinte d’humour, "Le Muscle du Silence" nous donne à voir des personnages qui, malgré un passé tumultueux et des luttes intérieures douloureuses, se délivrent des chaînes qui les entravent.
Enfin, tout autre univers chez Olivier Auroy. Alexandre, le personnage principal de son roman, "Au nom d’Alexandre", exerce un drôle de métier : il invente des noms. C’est donc un métier qui n’a pas de nom… Toute sa vie, il a baptisé des parfums, des pâtisseries, des voitures ou des missiles. Apprenant que sa fin est proche, un éditeur intrigué par son étrange vocation envoie à son chevet Fanny, une séduisante journaliste, pour qu'elle recueille ses mémoires. Mais la jeune femme repère quelques zones d'ombre dans ce parcours hors du commun. Au fil du récit la jeune femme découvre l’odyssée de cet amoureux des lettres, sorte de génie des mots qui ose tout nommer. Ou presque… Alexandre aurait-il omis d’oublier l’essentiel ?
Olivier Auroy, « Au nom d’Alexandre », 223 p, 19 euros ;
Rouja Lazarova, « Le muscle du silence », 16 euros ;
Carole Zalberg, « A la trace », 82 p, 12 euros.
Editeur : Intervalles.