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Les soixante-quinze feuillets : Marcel Proust retrouvé…

  • Écrit par : Serge Bressan

gallimardPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / L’un, professeur au Collège de France, dit : « Ces pages sont bouleversantes ». L’autre, également professeur, confie : « C'est comme quand on découvre une crypte sous une église mérovingienne »… D’autres, éminents spécialistes de la chose écrite, complètent en assurant qu’on retrouve là le temps perdu. Le sujet d’un tel enthousiasme ? « Les soixante-quinze feuillets (et autres manuscrits inédits) » de Marcel Proust. Un texte surgi d’une collection privée (celle de l’éditeur Bernard de Fallois, décédé le 2 janvier 2018 à 92 ans), un texte manuscrit rédigé selon toute vraisemblance en 1907 et 1908 et qui est présenté comme le premier jet d’« A la recherche du temps perdu », le cycle romanesque publié de 1913 à 1927, le chef-d’œuvre de Marcel Proust (1871- 1922), considéré comme le plus grand écrivain français du 20ème siècle…

Ceint d’un classique bandeau rouge sur lequel on lit : « Ici commence ‘’A la recherche du temps perdu’’ », ce livre compte 388 pages et s’ouvre donc, après une préface de Jean-Yves Tadié- écrivain, professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne et grand spécialiste de Marcel Proust dont il a écrit une indispensable biographie (« Marcel Proust, biographie »- 1996). Dans la préface, on lit : « Les voici donc, ces soixante-quinze feuillets si longtemps cachés, si longtemps attendus et devenus légendaires… » L’édition de ces feuillets a été établie « d’après le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits » par Nathalie Mauriac Dyer, écrivaine et arrière-petite-nièce de Marcel Proust dont on fête, en cette année 2021 (le 10 juillet, très précisément), le 150ème anniversaire de la naissance. A la question : « qu’avez-vous éprouvé à travailler sur ces textes inédits de Proust ? », Nathalie Mauriac Dyer répond : « Le sentiment d’un immense et merveilleux privilège ! » et d’ajouter cette découverte capitale lorsqu’elle a abordé les soixante-quinze feuillets : « On surprend Proust avant qu’il n’ait « brouillé » les chiffres du code autobiographique. Et cette découverte, tous les lecteurs la feront… »
A la lecture de ces soixante-quinze feuillets (qui, en fait, seraient au nombre de soixante-seize !), se souvenir de l’annonce de l’éditeur : « Ici commence ‘’A la recherche du temps perdu’’ »… Dans ce manuscrit formidablement annoté par Nathalie Mauriac Dyer, « A la recherche… » est là, du moins un texte qui en sera la matrice- ce qui fait dire à l’éditrice dans un entretien à « L’Obs » : « Il y a là les prénoms de sa mère et de sa grand-mère maternelle, qui disparaîtront aussitôt après. La suite montre amplement qu’il veut parler de la judéité et de l’assimilation, mais sans impliquer sa famille : c’est pour cela qu’il inventera le personnage de Swann. On découvre avec stupéfaction que son portrait, au début d’« Un amour de Swann », c’est celui de l’oncle Louis Weil dans « Les soixante-quinze feuillets »… » Et de préciser que dans ce manuscrit, « tout est codé ».
En ouverture des « Soixante-quinze feuillets », un chapitre titré « Une soirée à la campagne ». Extrait : « On avait rentré les précieux fauteuils d’osier sous la véranda car il commençait à tomber quelques gouttes de pluie et mes parents après avoir lutté une seconde sur les chaises de fer étaient revenus s’asseoir à l’abri. Mais ma grand-mère, ses cheveux grisonnants au vent, continuait sa promenade rapide et solitaire dans les allées parce qu’elle trouvait qu’on est à la campagne pour être à l’air… » Au fil des pages, dans ce texte qui, selon l’éditeur, est le « Graal proustien », on croise un garçonnet en attente du baiser de sa mère au moment du coucher (qui ouvrira « Du côté de chez Swann »- paru en 1913, le premier des volume d’« A la recherche du temps perdu ») ou encore des jeunes filles en fleurs en bord de mer à Cabourg (qui deviendra Balbec), on file également du côté de Villebon et de Meséglise avant quelques pages du côté de Venise : « Pendant que je lisais ces pages de Venise, le soleil entrait dans ma chambre, en baignant la moitié. Et bientôt je quittais le lit, marchais sur le soleil étendu dans ma chambre, descendais les escaliers de marbre où les portes mal fermées laissaient passer par les courants d’air la fraîche bise marine de ces chaudes journées… »
Les aubépines embaument le fond de l’air. En soixante-quinze feuillets, on a recherché le temps perdu. On a retrouvé Marcel Proust…

Les soixante-quinze feuillets
Auteur : Marcel Proust
Editions : Gallimard
Parution : 1er avril 2021
Prix : 21 €

[bt_quote style="default" width="0"]Ce premier visage de ma mère que j’ai tant aimé n’est pas celui qui devait rester pour moi définitivement le sien, celui qui m’apparaît encore quand je la revois. La dernière fois que j’ai vu ma mère sur ces routes obscures du sommeil et du rêve où parfois je la rencontre elle était dans cette robe de crêpe qui signifiait qu’elle avait au moment où je la rencontrais dans mon songe dépassé les jours qui ont brisé sa vie, ont préparé sa mort en peu de mois. Son visage était rouge de fatigue, du mauvais état de sa circulation, ses yeux fatigués d’une préoccupation incessante devaient souffrir par moi… [/bt_quote]

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