Romans et récits : hommage à Romain Gary, l’anti-conformiste
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Près de quarante ans… Tout simplement, le temps qu’il a fallu pour que, enfin, Romain Gary entre dans la bibliothèque de La Pléiade, sorte d’excellence littéraire selon le monde de l’édition française avec papier bible et tranche dorée (la rumeur assure « à l’or fin »…). Près de quarante ans d’attente, près de quarante ans pour célébrer un écrivain (qui fut aussi diplomate et cinéaste) tenu pour « inconcevable », mal considéré pour ne pas dire méprisé par la critique mais apprécié par le public. Né Roman Kacew, le personnage a entretenu avec satiété la légende. Sa légende. Au fil du temps, il a jonglé avec les personnalités, les pseudonymes- et s’en est follement amusé. Il a grandi près d’une mère, Mina, qui fut un temps comédienne à Moscou et qui l’a aimé à la folie : « La seule chose que j’ai vue dans ma mère, c’est l’amour. Ça faisait passer tout le reste- comme avec toutes les femmes. J’ai été formé par un regard d’amour d’une femme. J’ai donc aimé les femmes. Pas trop, parce qu’on ne peut pas les aimer assez. C’est une affaire entendue : j’ai cherché la féminité toute ma vie », écrivait-il en 1974 dans « La nuit sera calme ». Il s’est rêvé une vie de héros. En héros. Ce qui explique son engagement pendant la Deuxième Guerre mondiale et son admiration, lui l’homme de gauche, pour le Général de Gaulle- dont il sera le supporter numéro 1 à égalité avec André Malraux…
Gary écrivain ? On l’a dit et écrit, la critique germanopratine ne lui reconnaissait guère de talent. Les maisons d’édition parisienne lui refusèrent ses premiers manuscrits. Le journaliste-écrivain Eric Fottorino suggère dans l’hebdomadaire « Le 1 » : « Ce personnage romanesque à l’excès a sans doute éclipsé ses romans… Romain Gary est de ces écrivains, avec une peau en moins, hypersensibles aux vibrations de l’époque. Dans « Les Racines du ciel » (1956), plaidoyer pour la sauvegarde des éléphants, il fait de la défense de l’environnement une cause majeure et déjà urgente ». Gary ou à l’avant-garde de l’écologie. Un autre exemple pour rappeler que Romain Gary a été et demeure une voix d’aujourd’hui : dans « Education européenne » (1945), à peine sorti du conflit mondial, il prône une Europe unie et pacifiée.
Responsable de l’édition des deux volumes de « Romans et récits » de Romain Gary dans La Pléiade, Mireille Sacotte- universitaire et chercheuse en littérature, assure qu’« il voulait que le roman déborde dans la vie » et qu’« au fond, il n’a jamais essayé d’être conforme ». Elle développe : « Tout l’intéressait, depuis l’Histoire autour de lui. Il se tournait vers tout ce qui était nouveau. Il aimait voyager. (…) Il a passé sa vie à écrire, à aimer les femmes et à se passionner pour l’actualité. Cela se voit dans ses livres ». L’histoire dit aussi que, consul général à Los Angeles, il s’ennuyait dans les dîners mondains, ne disait pas au revoir, quittait la table et allait se coucher ». Romain Gary était aussi un provocateur : après son divorce d’avec Lesley Blanch, il a rencontré Jean Seberg, ils ne se sont pas cachés longtemps- « La provocation était un des aspects majeurs de sa personnalité », confie Mireille Sacotte..
En proie à une permanente fringale de la vie, anti-conformiste notoire, Gary a réussi, ô ! délice suprême, une des plus belles mystifications de la littérature française en remportant à deux reprises le Prix Goncourt sous deux identités : « Les Racines du ciel » en 1956 pour Romain Gary et « La Vie devant soi » en 1975 pour Emile Ajar ! En 1981, le quotidien « Libération » posa une question définitive en « une » : « Romain Gary a-t-il écrit tous les Goncourt ? » Avec Romain Gary, écrivain s’est écrit au pluriel… Ce qu’il résuma d’une belle formule : « Je me suis bien amusé. Au revoir et merci ». En 1978, il avait confié : « Vieillir ? Catastrophe. Mais ça ne m'arrivera pas. Jamais. J'imagine que ce doit être une chose atroce, mais comme moi, je suis incapable de vieillir, j'ai fait un pacte avec ce monsieur là -haut, vous connaissez ? J'ai fait un pacte avec lui aux termes duquel je ne vieillirai jamais ». Le 2 décembre 1980, avec un revolver Smith & Wesson de calibre 38, il se tire une balle dans la bouche. Le 15 mars 1981, ses cendres sont éparpillées en mer Méditerranée…
Romans et récits
Tome 1 : « Éducation européenne », « Les Racines du ciel », « La promesse de l'aube », « Lady L. », « La Danse de Gengis Cohn ».
Tome 2 : « Adieu Gary Cooper », « Chien Blanc », « Les Enchanteurs », « Gros-Câlin » (Émile Ajar), « La Vie devant soi » (Émile Ajar), « Pseudo » (Émile Ajar), « Clair de femme », « Les Cerfs-volants », « Vie et mort d'Émile Ajar ».
« Album Romain Gary » de Maxime Decout. La Pléiade / Gallimard. Offert par le libraire pour l’achat de trois volumes de La Pléiade.
Auteur : Romain Gary
Editions : La Pléiade / Gallimard
Parution : 16 mai 2019
Prix : 63 € (tome 1) et 66 € (tome 2).
Diplomate, écrivain, cinéaste…
Né Roman Kacew le 21 mai 1914 (ou peut-être 1915…), Romain Gary a vécu plusieurs vies. Ainsi, après une enfance et une adolescence en Russie et en Pologne, il est venu en France- à Nice. Adulte, après avoir été militaire et combattu durant la Deuxième Guerre mondiale, on le retrouve diplomate pour la France. Ainsi, il séjournera en Bulgarie (1946-1947), à Paris (de 1948 à 1950), en Suisse (1950-1951), à la Mission permanente de la France auprès des Nations Unies à New York (de 1951 à 1954) où il côtoie le jésuite Pierre Teilhard de Chardin (1881- 1955), à Londres (1955) et enfin à Los Angeles en qualité de consul général de France de 1956 à 1960. Quand il rentre à Paris, il se retrouve sans affection particulière puis, en 1961, il est mis en disponibilité du Ministère des Affaires étrangères.
N’empêche ! Gary, c’est avant tout un écrivain. Dès 1937, il envoie à des éditeurs le manuscrit de son premier roman, « La Vie des morts ». Un livre refusé (finalement publié en…2014 !). En 1945, c’est sa première publication : « Education européenne »- qui lui vaut le Prix des Critiques. En 1956, c’est « Les Racines du Ciel »- il reçoit le Prix Goncourt et sa popularité prend son envol. Dans la foulée de la parution de « La Promesse de l’Aube » (1960), il décide de consacrer l’essentiel de son temps à l’écriture. Il écrit beaucoup, il publie sous de multiples pseudonymes (entre autres, « L’Homme à la colombe » [1958] de Fosco Sinibaldi et « Les Têtes de Stéphanie » [1974] de Shatan Bogat) dont le plus célèbre demeure celui d’Emile Ajar. Sous ce nom, il signera quatre romans- et pour l’un d’entre eux, « La Vie devant soi », il reçoit en novembre 1975 le Prix Goncourt. Ainsi, Romain Gary est, à ce jour, le seul écrivain à avoir été récompensé à deux reprises par les Goncourt ! La presse et la critique françaises ont enquêté, elles pensent connaître qui se cache derrière cet Emile Ajar : un certain Paul Pavlowitch, petit-cousin de Gary. « Ce que l'on appelle « l'affaire Ajar » cache en fait une véritable tentative de renouvellement identitaire et artistique », lit-on dans « Romain Gary. Un itinéraire européen », le livre de Fabrice Larat paru en 1999.
Le nom de Romain Gary, on le trouve aussi dans l’univers du cinéma. Ainsi, en 1958, il signe le scénario de son roman « Les Racines du Ciel » pour une réalisation de John Huston, avec Trevor Joward, Juliette Gréco, Erroll Flynn et aussi Orson Welles. En 1962, il participe à l’écriture du scénario d’un film international, « Le Jour le plus long ». Curieux de tout, c’est naturellement qu’il passe à la réalisation. Ainsi, il signe deux films dans lesquels il offrira le rôle principal à sa femme d’alors, l’Américaine Jean Seberg- le premier en 1968 : « Les oiseaux vont mourir au Pérou » (avec Pierre Brasseur et Maurice Ronet), le second en 1972 : « Police Magnum » (avec James Mason et Stephen Boyd). Il a également été membre du jury du Festival de Cannes (1962) et de Berlin (1979)…