Les gratitudes : célébrer l’affection et la reconnaissance selon Delphine de Vigan
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan -Lagrandeparade.fr / Livre à peine ouvert, et on lit les mots de l’Académicien français François Cheng : « Vivre… C’est savoir dire merci ». Il y a aussi ceux d’une chanteuse, La Grande Sophie : « Où vont les mots / Ceux qui nous font et nous défont / Ceux qui nous sauvent / Quand tout se sauve ? » Ainsi, d’emblée, on comprend : « Les gratitudes », le neuvième et nouveau roman de Delphine de Vigan est tout placé sous le double signe du merci et des mots, ces mots qui vont, qui viennent, qui s’installent, qui se dérobent.
L’an passé, la romancière française avait publié « Les loyautés », le premier volet de ce qui ressemble à un diptyque avec, à présent, « Les gratitudes »- un diptyque qui pourrait devenir triptyque puisque Delphine de Vigan envisage un prochain roman sur l’ambition… Ecrivaine à succès (entre autres, « Rien ne s’oppose à la nuit »- 2011, et « D’après une histoire vraie »- 2015), elle assure avoir « pris conscience très jeune que les mots peuvent sauver ». Ainsi, avec Michka, née Michèle Seld, hier reporter puis correctrice dans un magazine, aujourd’hui au crépuscule de sa vie dans un Ehpad qu’il n’y a pas si longtemps on appelait maison de retraite- elle a passé de nombreuses années dans les mots, traquer coquilles et répétitions, fautes de syntaxe ou de conjugaison dans les textes de Doris Lessing, Sylvia Plath ou encore Virginia Woolf. La vieillesse est arrivée, et alors les mots ont commencé à échapper à Michka. La grande bousculade, des mots qui prêtent à confusion, qui installent des quiproquos… Lapsus et calembours au programme, genre : « Je bois un petit dé à moudre de whisky », « les chocolats sont délictueux », « à chaque jour suffit sa chaîne », « un fauteuil croulant »… Michka en proie à l’aphasie- elle se retrouve dans cette maison de retraite où, c’est écrit, elle finira sa vie, seule…
Apparait Marie, une jeune femme. La jeune voisine de Michka vient la voir tous les jours. Hier, Michka avait aidé et réconforté Marie. Aujourd’hui, Marie fait parler Michka, la vieille dame « aux allures de jeune fille ». Apparait aussi, dans « Les gratitudes », Jérôme, il est orthophoniste, a 35 ans… Lui aussi, il fait parler Michka- les souvenirs lui reviennent. Petite fille juive, elle a été entre 1942 et 1945 sauvée par un couple de La Ferté-sous-Jouarre, Nicole et Henri. Avant de s’en aller à jamais, elle souhaiterait retrouver la trace du couple de Justes. Simplement pour dire sa gratitude…
La gratitude, c’est aussi celle de Marie pour Michka. La jeune femme ne peut oublier la porte et le cœur que cette voisine lui a ouverts quand elle traversait une période difficile. La gratitude, c’est également celle de Jérôme pour cette femme courageuse et lucide qui confie : « Vieillir, c’est apprendre à perdre »… Bien sûr, « Les gratitudes » transpire le « feel good book », le « livre qui fait du bien » mais à aucun moment, Delphine de Vigan ne tombe dans le piège du convenu que sous-entend ce genre. Mieux : avec ce roman, elle nous rappelle qu’il n’y a pas de honte à dire merci…
Les gratitudes
Auteur : Delphine de Vigan
Editions : JC Lattès
Parution : 6 mars 2019
Prix : 17 €