Deux sœurs : les tourments du désamour selon David Foenkinos
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Une évidence. Dès la première page de « Deux sœurs », le dix-huitième et nouveau roman de David Foenkinos, on devine qu’il y a de l’explosion dans l’air. On lit les quatre premières lignes : « Au tout départ, Mathilde perçut quelque chose d’étrange sur le visage d’Etienne. C’est ainsi que l’histoire commença d’une manière presque anodine : n’est-ce pas le fait de toutes les tragédies ? » Jeune femme, Mathilde aime Etienne, ils sont ensemble depuis cinq ans, envisagent l’été précédent en Croatie de se marier et parlent même d’avoir des enfants- « Des étoiles d’un été merveilleux à d’autres étoiles, maintenant, collées sur un plafond ». Mathilde a une sœur, Agathe, mariée et mère d’une petite fille prénommée Lili. On va aussi apprendre que Mathilde est professeure de français et que, chaque année, elle donne un cours sur « L’Education sentimentale » de Gustave Flaubert- c’est son livre préféré, son livre de vie… Une vie qui semble, là au début, écrite, dessinée. Une vie toute en vertiges de l’amour…
A l’image d’un jeu de dominos, toutes les pièces de la vie de Mathilde vont tomber, l’un après l’autre. Après les vertiges de l’amour, ce sera le temps des vestiges du désamour… Dans la première partie de « Deux sœurs », l’auteur nous présente une femme prise dans l’abandon et ses tourments, une femme qui, de « L’Education sentimentale » de Flaubert, connaît tout jusqu’au moindre code psychologique des personnages. Une femme qui, dans sa vie privée, ne maîtrise plus la raison- commentaire de l’auteur : « Plus elle analyse « L'Éducation sentimentale », moins elle se comprend. Il y a quelque chose d'assez vertigineux dans cette incompréhension. Il faut lire bien entendu mais les romans ne servent à rien pour comprendre la vie… » Mathilde bouclée dans les mots, incapable de tourner les pages. D’autant qu’Etienne lui annonce qu’il la quitte pour retrouver Iris, son ancienne compagne….
Alors, Mathilde va trouver refuge chez sa sœur Agathe qui, avec son mari et leur fille, vivent dans un petit appartement de 50 mètres carrés. La cohabitation va se révéler difficile, surtout qu’Agathe et les siens dégagent l’image d’une famille sans histoires. Une famille banale, diraient certains… Là , tel un oiseau blessé, Mathilde va craquer, ne supporte plus les marques d’attention et de gentillesse à son égard, la « petite famille modèle » de sa sœur. Elle gifle le meilleur élève de sa classe. Elle prend sa nièce pour « tête de turc »… Foenkinos relève : « L’amour passionnel vous pousse à emmitoufler le moindre de vos gestes, à anticiper de manière excessive les réactions de l’autre, à vous perdre finalement dans le dédale de l’anarchie du cœur ». Hier bonté incarnée, Mathilde a plongé dans la méchanceté, la paranoïa, la vengeance- ce qu’on pourrait assimiler à un instinct animal de survie.
Auteur à succès depuis « La Délicatesse » (2009, un million d’exemplaires vendus en France), « Les Souvenirs » (2011) et surtout « Charlotte » (2014, prix Renaudot et prix Goncourt des lycéens), à 44 ans David Foenkinos a, avec « Deux sœurs », ajouté à sa palette romanesque le huis clos familial et la possibilité d’un drame domestique. Ce qui donne un roman aussi sombre qu’implacable...
Deux sœurs
Auteur : David Foenkinos
Editions : Gallimard
Parution : 21 février 2019
Prix : 17 €
Ciné-man…
Romancier, auteur de nouvelles et pour le théâtre, David Foenkinos aime rappeler qu’il a été initié au cinéma par son frère Stéphane : « Il a six ans de plus que moi. Quand j’étais adolescent, il enregistrait des films à la télé et me passait ensuite les cassettes ». Alors souffrant d’une maladie cardiaque, le jeune David a consommé, vu et revu tous les films… S’il se fait connaître en tant qu’écrivain, il n’en oublie pas pour autant le cinéma. Avec l’écriture de scénarios, et aussi la réalisation avec son frère : « Une histoire de pieds » (court-métrage, 2005), « La Délicatesse » (2011, adapté de son roman éponyme, avec Audrey Tautou, B.O. d’Emilie Simon) et « Jalouse » (2017, avec Karin Viard). Trois autres de ses romans ont été adaptés au cinéma : « Les Souvenirs » (2014) par Jean-Paul Rouve et « Je vais mieux » (2018) par Jean-Pierre Améris, le troisième étant « Le Mystère Henri Pick » par Rémi Bezançon avec Fabrice Luchini et Camille Cottin- en salles le 6 mars 2019. Une nouvelle preuve que David Foenkinos est vraiment un ciné-man !
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