Héroïnes : Linda Lê et ses femmes en exil
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Un étudiant féru de Kafka et une photographe échangent par voie électronique, joli prétexte pour Linda Lê pour signer « Héroïnes », un texte magnifique. On lit : « J’aime que les livres soient des brasiers ». Ou encore : « La littérature n'est pas faite pour les acquittés, elle n'est pas faite pour les élus. Elle est dans le camp des victimes et des sacrifiés, dans le camp des condamnés qui essayent, comme moi, de trouver leur salut et qui se cassent les dents ».
Immédiatement, on est emporté par cette petite musique en mots. Depuis bientôt trente ans, cette petite musique littéraire nous berce- elle est composée par Linda Lê, 54 ans, née au Vietnam, arrivée en France à 14 ans. Linda Lê, c’est la fée des lettres. Elle vient à nous régulièrement- ces temps, elle nous glisse un nouveau roman simplement titré « Héroïnes », un texte parfait qu’on aurait pu aussi titré « Trois femmes ». Avec cette auteure de grande discrétion médiatique, on fréquente l’élégance, l’exigence, l’originalité. Avec cette auteure, les critiques express et mondains n’ont pas leur place- et encore moins leur rond de serviette !
« V. et sa correspondante avaient commencé à s’écrire durant les premières années du XXIème siècle. Au début, leurs échanges tournaient essentiellement autour de la célèbre chanteuse vietnamienne qui, au lendemain de la capitulation de Saigon le 30 avril 1975, s’était exilée (enfuie) aux Etats-Unis puis en France », lit-on en ouverture d’« Héroïnes ». V. est Vietnamien, né en Suisse romande, étudiant en France et fou de la littérature de Kafka. Elle aussi est Vietnamienne, née en France, photographe- les deux vont correspondre sans jamais se rencontrer. Dans leurs échanges par voie électronique, ils vont évoquer, raconter trois femmes du Vietnam en exil. D’abord, la maquisarde- elle a combattu l’impérialisme américain pendant la guerre, est devenue opposante au régime en place dirigé par ses anciens compagnons de lutte et passés de l’idéalisme à la « realpolitik ». Puis, la chanteuse- la flamboyante surnommée la « mante religieuse », elle a enchaîné les frasques, cumulé les amants, été célébrée pour les couplets sentimentaux de ses chansons, s’est réfugiée aux Etats-Unis puis s’est posée en France. Enfin, la belle égarée- demi-sœur de la chanteuse, elle est enveloppée d’un mystère au parfum de scandale.
Avec « Héroïnes », Linda Lê raconte, à travers la correspondance de V. et de la photographe, des thèmes aussi divers et variés que l'art, l'amour, la guerre, la révolution, l'exil. Au fil des pages et des lettres évoquant les trois héroïnes, les deux écrivent, finalement, le livre des fuites. A quatre mains, défilent des histoires de doubles, de nostalgie, de résistance(s). De consolation, aussi. On y entr’aperçoit également la possibilité non pas d’une île mais d’une réconciliation, un jour sait-on jamais… Sera-ce toujours le temps de « l’amère patrie » ? Sera-ce toujours le paradis perdu, le pays des déchirures ? Y aura-t-il un jour le retour à la « mère patrie » ?
Une fois encore, discrètement, modestement, Linda Lê nous offre une leçon d’écriture. Maitresse dans l’art d’écrire en creux, dans les replis de la vie et les non-dits, elle brille par un roman sans pleins ni déliés mais tout en spirales. C’est flamboyant, enchanteur. De la grande littérature, qu’on se le dise !
Héroïnes
Auteur : Linda Lê
Editions : Christian Bourgois
Parution : 5 octobre 2017
Prix : 19 €
A lire également : « Chercheurs d’ombres » de Linda Lê. Christian Bourgois éditeur, 8 €.