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« La petite-fille » de Bernhard Schlink : d’une Allemagne l’autre…

  • Écrit par : Serge Bressan

schlinkPar Serge Bressan - Lagrandeparade.com / D’Ouest en Est, un voyage sur terre et dans le temps… Un homme en recherche d’une petite-fille. Celle que sa femme a mise au monde dans une autre vie, dans un autre monde. En quelques mots, le résumé de « La petite-fille », le nouveau roman de l’écrivain allemand Bernhard Schlink, 78 ans, ancien professeur de droit, juriste et auteur, voilà vingt-cinq ans, d’un texte vertigineux : « Le Liseur »… Une certitude en refermant « La petite-fille », Schlink demeure un des grands auteurs européens contemporains ; un auteur essentiel, aussi.

Comme peu, il mêle et manie parfaitement l’intime et l’universel. Le passé, le présent et aussi le futur. On l’a dit et écrit, résumé, son nouveau roman file sur une trame toute simple. Un homme, Kaspar, 70 ans, ancien professeur devenu libraire en cette contrée appelée pendant un demi-siècle RFA (République fédérale allemande), ou encore Allemagne de l’Ouest, a perdu sa femme Birgit récemment. Elle avait quitté la RDA (République démocratique allemande, ou encore Allemagne de l’Est) en 1965 pour le rejoindre à l’ouest. A la mort de la femme, l’homme découvre qu’avant de le rejoindre, elle a eu une enfant qu’elle a abandonné à la naissance. Tout un pan de sa vie qu’elle a toujours caché, qu’il a jusqu’alors ignoré. La découverte de cette information intrigue Kaspar qui « n’appartenait pas au monde. Il appartenait à Birgit morte. À Birgit morte qui était tournée vers lui avec sa joie de vivre et son affection, qui était étendue sur le canapé ou par terre et qu’il portait au lit, qui, lorsqu’il était assis sur le tabouret et la regardait, l’émouvait ; qu’il aimait. Mais elle était aussi la Birgit morte des carnets, de son écriture et non-écriture qu’elle lui avait tenues cachées. Tant de choses qu’elle lui avait dissimulées, avec lesquelles elle l’avait trompé, dont elle l’avait privé ! » C’est décidé, il quitte sa librairie de Berlin, direction cet Est pour (tenter de) retrouver, de rencontrer cette belle-fille totalement inconnue.
Première impression de Kaspar à l’Est : « Le brouillard lourd et gris de décembre pesait sur la ville, étouffait les bruits et obscurcissait la vue. Mais pour Kaspar tout était curieusement limpide et proche, les immeubles, les rues, la rivière. Comme si la dangerosité de son projet avait aiguisé son regard au point que les choses prenaient une forme plus dure. Et ce n’était pas que son regard, tous ses sens étaient affûtés ». L’ancien libraire retrouve la fille de Brigit, elle est à présent femme et mère d’une jeune fille de 14 ans, Sigrun. La petite-fille. Avec n’importe quel O.S. (ouvrier spécialisé) ou autre tâcheron de la chose écrite, on en serait resté là, histoire terminée, livre bouclé. Il en est tout autre avec Bernhard Schlink, homme de lettres et de sentiments. D’histoire(s) aussi… Donc, avec Kaspar, on découvre que, dans cette ex-Allemagne de l’Est, Sigrun est élevée dans un environnement de droite extrême, dans le culte du sinistre IIIème Reich et dans cette idée fixe de redonner à l’Allemagne, décadente et débauchée bien sûr, sa « grandeur » du temps passé. Plus précisément dans la mouvance « völkisch »- le plus grand nombre de ses adhérents vit en milieu rural, souhaite revenir à la terre, au sang et à la pureté allemande et veut tout reprendre à zéro et s’autosuffire. « C’est un mélange de racisme, d’antisémitisme et d’écologie », confie Bernhard Schlink.
A priori, un dialogue entre l’homme de l’Ouest et sa « petite-fille » de l’Est est impossible, même pas imaginable. Pourtant, c’est le sujet d’une grande partie de « La petite-fille ». Evoquant les fantômes de l’Allemagne dans un récent entretien, Bernhard Schlink répond à la question sur la possible manière de lutter contre l’extrême droite chez les jeunes : « Je pense qu’on ne peut que les ouvrir à un monde plus grand. Car le leur est étroit, fait de petits groupes, de rituels, d’une culture étriquée. Ils sont unis contre ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis. Kaspar essaie d’amener Sigrun vers la musique et les livres. Non pas qu’ils garantissent de nous rendre meilleurs, mais ils nous ouvrent au monde… »

La petite-fille
Auteur : Bernhard Schlink
Traduction : Bernard Lortholary
Editions : Gallimard
Parution : 9 février 2023
Prix : 23 €

[bt_quote style="box" width="0"]Il m’est arrivé en petit ce que j’ai vu arriver en grand aux Allemands de l’Est après la chute du Mur. D’abord, ils furent joyeusement accueillis comme étant les bienvenus. Ils furent aussi questionnés avec intérêt sur ce qui s’était passé à l’Est et comment ils y avaient vécu. Mais on les interrogea comme on questionne quelqu’un qui rentre de voyage. Lorsqu’il apparut qu’ils n’avaient pas seulement fait un voyage, mais qu’ils venaient d’un autre monde, un monde où certaines choses ne leur avaient pas convenu, mais qui était le leur, qu’ils avaient édifié et entretenu, auxquels ils étaient et restaient liés, l’intérêt disparut. A l’Est avait été créé quelque chose de spécial ?... [/bt_quote]

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