Un soir au paradis : les bonnes nouvelles de Lucia Berlin
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Un avant-propos titré : « Ce qui compte, c’est l’histoire ». On lit : « Maman écrivait des histoires vraies : pas forcément autobiographiques quoique… Nos souvenirs et légendes familiales ont été lentement remodelés, embellis et corrigés à tel point que je ne sais plus vraiment ce qui s’est réellement passé. Lucia prétendait que cela n’avait pas d’importance… » Des mots écrits et signés par Mark Berlin, fils de Lucia Berlin (1936- 2004) dont nous est parvenu le deuxième livre en VF (traduction de Valérie Malfoy) : « Un soir au paradis », recueil de vingt-deux nouvelles. En 2017, enfin traduit en français, était paru son premier et enthousiasmant roman, « Manuel à l’usage des femmes de ménage ». Et outre-Atlantique, un magazine n’avait pas hésité à évoquer « le meilleur écrivain dont vous n’avez jamais entendu parler », une écrivaine qui a publié, de son vivant, six recueils…
En ouverture d’« Un soir au paradis », « Les vanity-cases musicaux »- première des vingt-deux nouvelles du recueil. Début : « ‘’Ecoute les instructions de ton père, et ne rejette pas l’enseignement de ta mère. Car c’est une couronne de grâce pour ta tête, et une parure pour ton cou. Si des pécheurs veulent te séduire, ne te laisse pas gagner’’. Mamie, ma grand-mère, me relut ce passage deux fois. Je tâchai de me rappeler de quelle instruction il pouvait s’agir. Te cure pas le nez. Mais j’en voulais une, de parure à mon cou… » Comme sur son visage, il y a dans les mots de Lucia Berlin le regard endiablé- pour des nouvelles qui plongent dans le vif de la vie. On sent, on pressent au fil des pages que l’auteure (mariée trois fois, quatre enfants et de multiples déménagements en Alaska, au Texas, au Chili, à New York, à Mexico, au Nouveau-Mexique…) glisse, de ci de là, de multiples fragments de son autobiographie. Mais jamais, femme et auteure de charme et cabossée, Lucia Berlin n’explique, ne développe- elle passe allègrement du « je » au « elle », d’un lieu à l’autre, ne craint pas les situations complexes, voire alambiquées. On évolue dans un monde noir où tout est possible- le pire, le meilleur… Le ton est (faussement) désinvolte, assurant que le bonheur n’est jamais loin.
« Un soir au paradis », tout y passe. Même les hommes qui ne font que passer… C’est le temps des cerises en fleurs, ou encore un jour de brouillard, peut-être même le Pony Bar à Oakland ; oui, comme le titre des vingt-deux nouvelles, « ma vie est un livre ouvert » dans la maison en adobe avec le toit en zinc- et un jour, un soir, peut-être elle sera « perdue au Louvre ». Toutes les pages d’« Un soir au paradis » débordent de mélancolie, de drôlerie- y flotte cette sensation que tout y est et, en même temps, tout y est insaisissable. Cette (belle) sensation qu’on éprouve quand la mémoire nous joue quelques tours. Et c’est ainsi que Lucia Berlin fréquentait, fréquente la même cour de jeux que Raymond Carver ou encore Alice Munro…
Un soir au paradis
Auteur : Lucia Berlin
Traduit par Valérie Malfoy
Editions : Grasset
Parution : 9 mai 2019
Prix : 22 €
[bt_quote style="default" width="0"]Nous prétendons que c'est formidable d'être autonomes, que nos existences sont bien remplies. Mais nous la désirons toujours, la recherchons. La passion. Lorsque Sara avait valsé dans ma cuisine en riant- "Je suis amoureuse, tu te rends compte?"- j'avais été contente pour elle. Nous l'étions tous. Leon était séduisant. Instruit, sexy, structuré. Il la rendait heureuse. Plus tard, comme elle, nous lui avons pardonné. Des rendez-vous manqués, des mots désobligeants, un peu de désinvolture, une gifle. Nous voulions que tout soit pour le mieux. Nous voulions croire à l'amour.[/bt_quote]