La Femme aux Cheveux roux : père et fils selon Orhan Pamuk
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Pour certains, il est le « Balzac du Bosphore ». Pour d’autres, il est un héritier de Franz Kafka. En 2006, il a reçu le prix Nobel de littérature et on le retrouve en librairies avec son dixième roman, « La Femme aux Cheveux roux ». Né à Istanbul, le Turc Orhan Pamuk brille une fois encore d’une écriture emplie de cris et de mystères. Roman en trois temps, c’est l’histoire de Cem dans les années 1980- premier temps : 1985, il a alors 16 ans. On le retrouvera l’année suivante, puis au cœur des années 2010, il a alors 45 ans, est devenu un important promoteur immobilier et se souvient…
« La Femme aux Cheveux roux » relève de plusieurs genres littéraires. Roman oui, mais aussi fable, légendes, épopées, conte… Le mythe d’Œdipe et son pendant oriental avec Sorhâb. Et en toile de fond, la Turquie. Celle des années 1980, celle d’aujourd’hui dirigée de main de fer par le président Erdogan qu’un grand nombre trouve bien peu fréquentable. Voilà, Orhan Pamuk, 66 ans, sait dissimuler- cette « Femme aux Cheveux roux » est tout empli de symboles, de paraboles. Dans un récent entretien, le romancier confiait : « En 1989, je finissais « Le Livre noir » (1990) dans une île au large d'Istanbul, quand sont venus, un soir, un puisatier et son assistant. Il pleuvait et ils essayaient de planter leur tente ; et il pleuvait encore plus, et ils éclataient de rire. J'avais vraiment l'impression qu'ils appartenaient à la même famille. Le matin, le puisatier hurlait des ordres sur le jeune. Et le soir, je les voyais cuisiner ensemble, regarder leur télé portable branchée sur un accumulateur. C'était leur vie... »
Ce souvenir est devenu roman. Début de l’histoire donc en 1985 à Istanbul, après le coup d’Etat militaire. Cem est fils unique- mère au foyer, père pharmacien qui est parti vivre une nouvelle vie. Cem est seul avec sa mère, ils quittent Istanbul, vont chez une tante dont le voisin est puisatier. Il va proposer à l’adolescent de l’accompagner sur un chantier et va devenir maître Mahmut- en quelque sorte, un père de substitution. L’été 1986, Cem a alors 16 ans et travaille toujours avec maître Mahmut qui, après la journée de labeur en plein soleil, lui raconte des histoires légendaires. Le maître et l’ado vont, un jour, dans un village à une quinzaine de kilomètres- ils y croisent une troupe de comédiens parmi lesquels une femme aux cheveux roux dont Cem tombe immédiatement amoureux. Cette femme aux cheveux roux, objet de fantasme pour Cem…
A 45 ans, devenu ingénieur géologue et entrepreneur en bâtiment, il nous raconte son histoire- et c’est là qu’intervient le talent de l’auteur, Orhan Pamuk. Il a emmené son lecteur sur une piste alors que lui, il vagabonde sur une piste parallèle. « La Femme aux Cheveux roux » est un roman-miroir, ça brille de symboliques avec un fils qui tue le père (le mythe d’Œdipe) et un père qui tue son fils (la légende de Sorhâb). C’est follement étourdissant, furieusement éblouissant…
La Femme aux Cheveux roux
Auteur : Orhan Pamuk
Editions : Gallimard
Parution : 14 mars 2019
Prix : 21 €