« Après » de Nikki Gemmell : l’adieu à la mère
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Une ouverture cinglante, glaciale. « Avez-vous déjà fait ce que vous redoutiez de faire, identifier un proche dans une morgue, sur cette fine table en acier ? Moi, oui. A l’instant. Et j’ai besoin de coucher sur le papier ce qui s’est passé, rassembler les pièces du puzzle et en faire quelque chose de cohérent (…) Cette expérience me laissera sur une civière. Transportez-moi ». Ce sont les premiers mots, les premières lignes d’Après, le nouveau roman de l’Australienne Nikki Gemmell. On l’avait découverte, en VF, en 2007 avec « La mariée mise à nu »- un texte érotique écrit anonymement et paru en Australie dix ans plus tôt. On la retrouve, auteure de réputation internationale, avec « Après », un « roman intime » pour un adieu bouleversant. L’adieu à la mère. A sa mère qui, en 2015, a demandé qu’on mette fin à ses jours sans fournir la moindre explication.
« Nous avons connu des périodes de grande camaraderie, mais nous étions deux femmes fortes qui luttaient pour avoir l’ascendant. Et même pendant nos moments de tension, je l’aimais trop pour faire une croix totale sur elle. Les mères problématiques enfantent-elles des écrivains ? Cette colère qui crée des étincelles et vous pousse à trouver votre voix. Mais je suis consciente que ce livre ne relate qu’une seule version de l’histoire », écrit aussi Nikki Gemmell. Et aussi : « ‘’C’est votre mère’’. Dès que la porte s’est refermée, j’ai su à ce moment-là qu’Elayn était morte. Comment elle s’y était prise et pourquoi ». Un livre pour le choix d’une mère, pour la douleur d’une fille…
Au fil des pages, on apprend qu’Elayn, la mère de l’auteure, est très malade. Qu’en 2015 donc, elle demande qu’on mette fin à son calvaire. Que ses proches, dont sa fille, sont d’abord en état de choc puis confrontés à cet étrange sentiment de culpabilité et d’horreur. Elayn ne donne aucune explication à sa requête, aucun mot écrit. Les questions sont là , nombreuses, sans réponse. Pour cette femme malade, l’euthanasie (dans un pays où elle est interdite) serait-il l’ultime preuve d’indépendance ? Dans ce choix pour en finir, le désespoir a-t-il le dessus sur la colère, ou le contraire ? Et si, en fait, par cette requête, par ce geste, Elayn ne montrait-elle pas là qu’elle gardait le contrôle sur sa vie, donc sur son départ ?... Il y aura aussi la police qui considère la mort suspecte, qui va enquêter pour s’assurer que c’est bien d’un suicide dont il s’agit… Il y aura également la narratrice, son frère Paul et d’autres proches qui culpabilisent- pourquoi, comment n’ont-ils rien vu, déceler chez Elayn devenue au fil du temps accro aux anti-douleurs et qui, de semaine en semaine perdant inexorablement de son autonomie, s’enfonçait dans le désespoir. Elayn, cette femme qui était en contact avec un groupe pro-euthanasie qui fournissait la drogue permettant aux personnes le souhaitant de partir sans souffrance et dont le médecin assurera que le choix de son départ était un acte responsable.
Avec « Après », Nikki Gemmell signe aussi un beau texte d’amour pour la mère tout en ne cachant rien sur les relations difficiles qui la liaient à la sienne. Dans les dernières pages de ce livre duquel transpirent sincérité et émotion, un ultime et bel aveu : « Quand quelque chose d’intéressant se produit, j’ai envie de lui en parler. Je veux lui parler de ça. De tout ça »…
Une mariée, un corps, du plaisir…
Née le 17 novembre 1966 à Wollongong (Nouvelle-Galles du Sud, Australie), Nikki Gemmell a, à ce jour, publié treize romans, quatre essais et des livres pour enfants. Elle est traduite en vingt-deux langues. Après avoir passé quelques années à Londres, elle est retournée vivre en Australie. Surnommée « la Jack Kerouac au féminin », elle a accédé à la notoriété mondiale en 2007. Revue de détails de ses trois livres parus en VF avant « Après ».
La mariée mise à nu (2007)
Une femme anonyme disparaît, laissant un journal intime qui raconte au quotidien son expérience sexuelle. Pour tous ceux qui la connaissaient, elle semblait l’épouse idéale : heureuse, dévouée, épanouie. Mais son journal révèle une vérité bien différente, celle d’une mariée aux désirs inassouvis… Bientôt quadragénaire, une femme mariée voit son couple battre de l’aile. Les bons conseils de sa meilleure amie ne font que la désespérer davantage. La mariée découvre alors qu’elle a une liaison avec son mari. Par défi, elle prend un amant tenant du pur fantasme : beau mais fragile, viril mais doux, jeune mais pas trop, disponible mais, incroyablement, vierge…
Plaisir (2011)
Après le succès de son roman « La Mariée mise à nu », où elle plongeait dans les non-dits du couple et du désir féminin, Nikki Gemmell fait un cadeau tendre et lumineux, un florilège de pensées et de réflexions intimes qui dessinent une carte du tendre d’aujourd’hui, célébration de la femme et de la joie d’aimer. « Plaisir », c’est le florilège du cœur avec petites phrases et petites histoires. Voilà un essai qui se lit comme un roman, un texte qu’on laisse et vers lequel on revient. Le livre (pour les femmes, mais aussi pour les hommes) pour apprendre à mieux se connaître, pour se faire du bien plutôt que supporter le mal. « Le Deuxième Sexe » de Simone de Beauvoir revisité pour la version des années 2010 !
Avec mon corps (2015)
Le désir peut-il être si sclérosé qu’il disparaît pour de bon ? Enfoui trop profondément pour être un jour de nouveau attisé ? Vous pensiez ne plus jamais vouloir coucher avec quelqu’un, que ce genre de vie était derrière vous. Vous aviez eu vos enfants. Le sexe avait rempli son rôle. Vous aviez l’impression d’être cassée, qu’il était trop difficile de vous réparer. Les adultes ne se réparent pas. Leur état empire. La vie les consume peu à peu et ils en portent les cicatrices jusqu’à la fin de leurs jours. En fait, elles durcissent, se calcifient. Mais vous vous sentez libérée. Par miracle.
Après
Auteur : Nikki Gemmell
Editions : Au Diable Vauvert
Parution : 17 janvier 2019
Prix : 22 €
Nous l'avions lu aussi...
La mariée mise à nu : un roman cruellement féminin. Rose et cynique.
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Nikki Gemmel fait ici un portrait brûlant de l’insatisfaction féminine et son énonciation, qui vient récupérer souvent le pronom personnel « vous », violente encore davantage la lectrice qui se sent viscéralement visée. Un roman dérangeant à ne recommander qu’à celles qui oseront affronter les problématiques qui y sont soulevées: peut-on être heureuse en couple? comment avoir une sexualité épanouie? les désirs féminins sont-ils contradictoires et impossibles à combler?
On y parle ( beaucoup) de sexualité au travers de divers angles: le quotidien affligeant des câlins conjugaux, la passion éphémère de l’amant parfait, la folie de l’épouse qui assouvit ses fantasmes au prix de sa sérénité et de sa dignité. Le roman est chapitré sous forme de leçons façon Aubade et s’amusent à réciter les soi-disants clichés de la bonne épouse.
L’histoire? Terriblement banale. Une femme londonienne; un mari, Cole; un amant, Gabriel; une amie castratrice, Théo; une mère (toujours trop ou pas assez) présente. Et tout tourne autour du nombril de la jeune femme perdue dans ses envies et ses manques.
Alors?
La Mariée Mise à Nu séduit d'abord par la sémantique plurielle de son titre et l'on n’est pas déçu. Erotisme et psychologie s’affrontent au fil des pages. L’auteur décrit les tribulations psychiques d’une femme ambivalente qui évolue dans un univers sentimental, familial, amical déstabilisant et inconfortable. Le résultat? la perte de contrôle de ses émotions. Nikki Gemmel montre avec justesse la lente dérive d’une femme obnubilée par ses désirs contradictoires: celui d’être blottie dans des bras rassurants, celui d’être un objet de désir, celui de se sentir libre, celui d’être maman.
Au travers du récit d’une héroïne déséquilibrée par les sursauts peu maîtrisables de ses désirs, la réflexion sur les notions de besoin et de désir devient omniprésente et salvatrice.
« A l’origine, La Mariée Mise à nu a été publié anonymement […] j’avais parfaitement l’intention de faire figurer mon nom sur la couverture en commençant le livre, mais je me suis bien vite rendue compte que je me censurais. Effrayée des réactions possibles de mes proches, effrayée à l’idée de les faire souffrir, n’ayant pas tout à fait le courage de me dévoiler avec une aussi complète nudité. »
Peut-on parler de roman sulfureux, profondément érotique? Pas vraiment. Le sexe est un lieu d’illustration idéal des malentendus d’un couple et des absurdités d’une personnalité. Certes,le roman ne manque pas de passages coquins où l’auteur-femme s’exprime sur ses attentes érotiques et délivre des leçons fort pertinentes que tout homme avisé ne devrait pas hésiter à appliquer. Mais l’intérêt de ces scènes érotiques n’est pas que « stimulant »… Nikki Gemmel cherche d’abord à nous faire réfléchir et montre ainsi une épouse pour laquelle le sexe est une question de soumission, de compromis et de non-dits qui finissent par enlaidir le rapport sexuel au lieu d’en faire un objet de plaisir.
C’est un livre d’expérience- et c’est toute sa saveur- qui montre combien la négligence de tous les jours provoque des situations de souffrance quotidiennes inimaginables. Un livre qui rappelle qu’au début, « vous êtes pleine d’amour pour lui, pleine jusqu’à ras bord » et puis, ensuite, lorsque l’état de « limérence ( terme de psychologie désignant un amour de type obsessionnel) » s’éteint, vous vous sentez dépossédée de tout ce que vous donniez avant avec générosité.
Assurément non, "La Mariée Mise à Nu" n’est pas un livre révolutionnaire: vous n’y découvrirez pas de solution miracle. D’abord parce que l’héroïne est trop égoïste et excessive pour que l’on puisse nettement s’y identifier. Cependant, ce portrait exacerbé détone des romans de midinette que les collections féminines aiment à nous servir. Ici on parle crument et tant mieux! C’est ainsi un roman agréablement dérangeant. Par sa folie. Par ses excès. Par ses insatisfactions et ses doutes et par cette sensation d’autobiographie qui soutient les mots en filigrane.
« Vous aimez Cole d’une façon que vous n’avez jamais pratiquée auparavant. Calmement. C’est un amour qui ne fait pas d’étincelles, il luit plutôt comme une chandelle. vous l’aimez même quand il s’endort tout en vous faisant l’amour. Vous n’aviez jamais aimé calmement avant, quand vous n’aviez pas encore trente ans. C’était l’époque de l’amour avide, plein d’exaltation et de terreur; quand il vous arrivait de dire « Je t’aime », vous aviez toujours l’impression d’être dépouillée; jamais vous n’avez eu l’impression que l’amour pouvait être un sauvetage. »
« Le besoin de réfléchir visite rarement les gens satisfaits ».
La mariée mise à nu
Auteur: Nikki Gemmel
Traduit de l’anglais par Alfred Boudry.
Editeur: Au Diable Vauvert
Prix: 22 euros