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Maître-Minuit : Makenzy Orcel et la légende de l’homme debout

  • Écrit par : Serge Bressan

OrcelPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Première image, premières lignes, premiers mots sans majuscules : sur un lit de l’hôpital général de Port-au-Prince, un homme se réveille. Il est menotté. C’est un 1er avril, ce n’est pas un canular. « des dizaines de corps sont affalés pêle-mêle sur des matelas crevés, sur des civières, ou à même le sol crade, jonché de chiffons sanguinolents et couverts de mouches. d’autres suivent. ça déferle jour et nuit. une marée humaine. on dirait que c’est tout le pays qui est frappé par une sale épidémie. depuis des mois, des années, les médecins observent une grève manche longue »… L’homme qui dit s’appeler Poto raconte à son voisin comment il est arrivé là, sur ce lit. Maladie chronique- comme cette maladie qui frappe son pays, Haïti, depuis tant et tant d’années. 

Après « Les Latrines », « Les Immortelles » ou encore « L’Ombre animale », l’écrivain haïtien Makenzy Orcel nous glisse « Maître-Minuit ». Un roman du chaos permanent, de l’apocalypse banalisée. Avec une écriture puissante, toute en minuscules et dialogues au kilomètre. Dans ses précédents textes, Orcel s’était attaché à des personnages féminins, là, il passe au masculin même si la première partie de « Maître-Minuit » est titrée « Marie Élitha Démosthène Laguerre », du patronyme de la mère de Poto. On apprend vite qu’elle n’adresse jamais la parole à son gamin, dans la maison l’une et l’autre restent dans sa chambre. La mère est accro à la colle qu’elle sniffe quasi en permanence, elle parle aux fantômes qu’elle suit la nuit dans Port-au-Prince et aux démons auxquels elle tente d’échapper en hurlant.
De père inconnu, Poto, lui, a trouvé à qui parler : elle s’appelle Grann Julienne, une « vieille dame aux allures pittoresques vivant retirée, loin de tout » (existe-elle vraiment ? est-elle juste une illusion, un personnage en rêve ?) et qui sait raconter les histoires. Poto se souvient : « je l’écoutais comme on écoute une chanson, un poème, passer d’un univers à l’autre, éplucher les vieilles légendes ». Il lui demande ce qu’est un tonton macoute (la garde rapprochée du président au temps de la dictature en Haïti), elle répond non pas « un assassin » mais « c’est le double maléfique du cousin Zaka. où il passe il fauche tout, des vies et des biens, qu’il glisse dans son makout  (NDLR : dans sa sacoche) ». A la question « c’est qui Maître-Minuit ? », elle dit : « c’est un homme qui reste debout, avance toujours, quoi qu’il arrive ».
Et puis, Poto a un don : il rêve sa vie, se la raconte et la dessine. Un jour, il part, ses dessins dans son sac à dos. Il se fait passer pour fou pour qu’on le laisse tranquille. Il vit de petits vols et de jongleries. Jusqu’au moment où il accepte la protection d’un tueur à gages qui bosse pour la dictature (sous les mots de Makenzy Orcel, on devine les Duvalier, dictateurs de père en fils et à vie en Haïti au 20ème siècle). Ainsi, Poto va apprendre la vie en marchant. Il est autant funambule qu’arpenteur- à l’image de Maître-Minuit, ce géant haïtien que la légende présente comme un homme debout, avançant toujours et malgré tout.

Maître-Minuit
Auteur : Makenzy Orcel
Editions : Zulma
Parution : 4 octobre 2018
Prix : 20 €


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