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Catharina Ingelman-Sundberg et ses " robins des bois du 3è millénaire"

  • Écrit par : Catherine Verne

gangdesdentiersPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr / 5 octogénaires pimpants, membres actifs de leur chorale en Suède et coutumiers de la fête nationale de Sainte-Lucie, autrement dit d'apparence on ne peut plus fréquentables, ont choisi de se recycler dans le grand banditisme. On se souvient peut-être que  "Comment braquer une banque sans perdre son dentier", paru en 2014, racontait comment ils en étaient venus à cette grave décision empreinte d'altruisme, vu le bilan affligeant du système en place concernant la gestion des maisons de retraite et autres dossiers brûlants.  Plus que jamais soucieux de pallier à ces impasses étatiques alarmantes, déçus par l'incompétence éhontée du politique et forts d'une tactique sans faille en théorie, nos héros se mobilisent derechef pour sauver le monde entre deux tasses de thé. Un peu dans le "mouv" du covoiturage et des potagers de quartier ailleurs, les voilà lancés dans une ambitieuse récolte de fonds de charité collective façon " robins des bois du 3è millénaire" : ils fomentent des hold-up dans le but de redistribuer les richesses récoltées aux démunis - entendez les retraités de la police, jamais assez remerciés pour l'édifiant service qu'ils rendent au quidam, les musées que des coupes budgétaires culturelles laissent impunément exsangues, et quelques autres causes d'utilité publique aussi prioritaires à leurs yeux pétillants d'espièglerie tendre et bon enfant.

 

Au moment du passage à l'acte, aussi enthousiastes qu'ils soient, leur confrontation, hélas, avec le réel sera assez éloignée de l'idéal planifié. C'est qu'il ne faut pas s'attendre à retrouver dans ce "gang des dentiers" quoi que ce soit qui rappelle de près ou de loin les attributs glorieux et devenus classiques de bandes starisées comme celle d'Al Capone, la bande à Bonnot ou du couple mythique Bonny and Clide, aux prouesses passées à la postérité. Leur organisation ressemble à une équipe choc de copains de chambrée qui auraient décidé de braquer une banque après avoir visionné "Ocean's eleven" sur le câble en se faisant passer des assiettes de petits gâteaux secs. On croirait même reconnaître notre séducteur impénitent de Georges Clooney vieilli en ce bellâtre de "Rateau". En lieu et place des tractions avant de Pierrot-le-fou, des déambulateurs et des fauteuils roulants customisés par le Génie, l'ingénieur bricolo de la bande pour produire des accélérations façon festival du Fizz. Et au lieu de galvaniser les troupes avec un tord-boyaux réchappé de la prohibition, nos Pieds Nickelés de service se shootent à la liqueur de mûres arctiques dont une sorte de Ma Dalton à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, le cerveau du gang, Märtha, a le secret. Entre autres compagnons de cette virée buissonnière, il y a aussi Stina, capable de défier au dessin n'importe quel faussaire, et Anna-Greta, l'éternelle fleur bleue au coeur brisé qui fixe l'horizon à la fenêtre en usant le vinyl de vieux 33 tours achetés au kilo, jamais complètement remise d'une romance inaboutie, et qui se révèle une partenaire de choix dans l'expédition, du fait de son passé de banquière avisée sur les ficelles du monde des affaires.
Tout ce petit monde, dans un joyeux désordre, savoure les sensations fortes du quotidien des malfrats, la camomille et les rhumatismes en plus. Et qu'à cela ne tienne, un régime spartiate et des exercices physiques dignes de G.I. réservistes au sous-sol préviennent tout risque de fracture du fémur dans le feu de l'action. Non seulement exposés aux cascades audacieuses,  nos apprentis gangsters auront maille à partir avec l'âpre réalité du terrain de la pègre:  il leur faudra affronter un vrai gang de loubards tatoués,  blanchir de l'argent, essuyer un détournement de fonds et autres malversations courantes dans ce monde corrompu de la base au sommet où l'arroseur se retrouve généralement arrosé, si tant est qu'on puisse trouver une morale à cette histoire délibérément impertinente. Quoi qu'il en soit, dans les moments de vif découragement, et quand une vague mauvaise conscience les rattrape, un leitmotiv très sûr les remet en selle : la cause du petit peuple arnaqué par l'Etat, le plus malhonnête et le plus redoutable des malfaiteurs. Si l'on ajoute à ce militantisme fervent la peur de finir en maison de retraite, issue funeste à laquelle tous s'accordent à préférer encore la prison, on comprendra d'où nos seniors tirent l'énergie de leur opiniâtreté.
Catharina Ingelman-Sundberg mène l'aventure de ces vigoureux retraités tambour battant, dans une atmosphère dont le rythme et la légèreté assurent un franc moment de divertissement.  On se laisse prendre au jeu, réticent à lâcher le pavé d'une histoire qui, pour sembler longue, regorge de trouvailles cocasses et dont les imaginatifs et incessants rebondissements pimentent la lecture rapide. L'auteure suédoise, très populaire, a écrit nombre de romans historiques et travaille pour le quotidien suédois " Svenska Dagbladet". Elle prête ici une tendre et désopilante humanité à ses cinq anti-héros, toujours aussi attachants les uns que les autres dans ce second volet de leurs frasques. L'on ne doute pas que vous aussi, vous leur tendriez le bras pour les aider à traverser la rue ou les soulager de leur lourd cabas à fleurs... peut-être rempli de lingots d'or! Le message de ce livre est clair: on ne sait jamais quel gang de dentiers se cache derrière les pensionnaires d'une maison de retraite! A la réflexion, ce livre pourrait bien faire des émules. A recommander donc sous réserve aux Papys et Mamys en mal de sensations fortes qui pourraient bien s'en inspirer pour se lancer dans un remake des "400 coups" ! C'est à se demander s'il est bien prudent de le mettre en vente publique - ou bien faut-il l'accompagner d'une notice en prévenant les effets secondaires éventuels. On gagnerait peut-être à l'interdire aux plus de... 77 ans?

Le gang des dentiers fait sauter la banque

Auteur : Catharina Ingelman-Sundberg

Editions : Fleuves


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